Citation

"Ce n'est que lorsque l'homme sera parvenu au terme de la connaissance de toutes choses qu'il pourra se connaître lui-même. Car les choses ne sont que les frontières de l'homme." F. Nietzsche

mercredi 19 décembre 2012

Léviatemps

Paris, 1900. Guy de Timée est un écrivain à succès. Riche, bien marié, il mène la vie bourgeoise idéale. Jusqu'à ce qu'il fasse une double découverte fatidique.
La première découverte s'appelle Arthur Conan Doyle (énorme merci à Maxime Chattam de rendre hommage à ce grand écrivain). En lisant des romans policiers, Guy se rend compte que seul ce genre est capable de reproduire toute la complexité de l'âme humaine, jusque dans ses plus terribles profondeurs.
La seconde découverte est la conséquence de la première : Guy se rend compte qu'il ne connaît pas ces bas-fonds de l'inconscient. Sa vie bourgeoise l'a éloigné de ses compatriotes, des humains en général. S'il veut produire un roman vraiment profond, il doit pouvoir observer les humains, donc se fondre en eux.
Il va alors abandonner sa vie, sa fortune, sa femme, sa fille, toute sa famille, et part vivre dans le grenier poussiéreux d'un bordel parisien chic, où il est homme à tout faire. C'est là qu'on le rencontre au début de ce roman (tout ce que je viens d'expliquer, on le découvre par la suite).
Le roman s'ouvre sur un hommage aux romans policiers, résolument considéré comme un genre noble et non un simple divertissement. Chattam prêche pour sa paroisse.
Mais il joue aussi beaucoup sur les ambiguïté du genre. S'il est évident que Guy représente Chattam lui-même, on retrouve dans le roman les interrogations du romancier. Est-on totalement sain d'esprit quand on écrit des horreurs pareilles ? Cela n'a-t-il pas une influence néfaste sur l'auteur lui-même ? Et le lecteur, est-il bien raisonnable, lui aussi, de lire de telles choses ? Les interrogations de Chattam nous reviennent en pleines figures quand un médecin s'étonne de voir Guy s'intéresser à des sujets aussi sordides.
Le roman est une enquête. De cette partie-là, il est évident que je ne dévoilerai que le moins possible.
L'intrigue m'a beaucoup fait penser à l'histoire de Jack L'Eventreur transposée à Paris. Des quartiers louches et glauques, des prostituées assassinées de façon méthodique, minutieuse, un meurtrier sadique et cruel mais aussi très intelligent, une police qui bâcle l'affaire, etc.
La structure du roman m'a rappelé celle des Promesses des ténèbres, le dernier grand Chattam. La quête du criminel se transforme en une double plongée : une plongée dans les bas-fonds de la ville, et une plongée (sûrement plus dangereuse encore) dans les bas-fonds humains. On comprend très vite que la ville est une métaphore de l'être humain, un paysage mental; et ce n'est pas un hasard si, dans ces quartiers mal famés, on retrouve les deux "activités" primaires de tout animal, la reproduction et la sauvegarde de son territoire (donc la violence).
Les habitués de Chattam reconnaîtront ici son thème fétiche : l'être humain n'est qu'un animal. Les quelques siècles de "civilisation" n'ont pas suffi à étouffer ses instincts les plus grégaires. Sa civilité n'est qu'un mince vernis qui craque facilement, laissant échapper les pires noirceurs de l'âme humaine. Et, toujours selon l'écrivain, ces noirceurs sont en chacun de nous et n'attendent que l'occasion idéale pour faire surface. Ainsi, même le gentil enquêteur est susceptible de se transformer en criminel de la pire espèce, et cette menace plane sur tout le livre.
Comme toujours chez Chattam, ce roman est absolument passionnant. Les chapitres sont un peu plus longs que d'habitude (une dizaine de pages en moyenne) mais le rythme reste soutenu et ne faiblit pas un seul instant. Les fausses pistes se multiplient. Les personnages sont toujours en route pour quelque chose : lieu d'un crime, visites de suspects, morgue, Exposition Universelle. Tous ces trajets entraînent de nouvelles informations. L'enquête avance sans cesse, mais chaque réponse entraîne son lot de questions.
Moins horrible dans les descriptions de cadavres, Léviatemps (quel beau titre !) baigne du début à la fin dans une ambiance glauque et sordide. La narration de Chattam est, comme d'habitude, passionnante.
Un roman de divertissement intelligent.
Et chronophage.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire