Citation

"Ce n'est que lorsque l'homme sera parvenu au terme de la connaissance de toutes choses qu'il pourra se connaître lui-même. Car les choses ne sont que les frontières de l'homme." F. Nietzsche

vendredi 30 novembre 2012

City of Life and Death

1937. Le Japon se lance dans une nouvelle guerre d'invasion de la Chine. Après Shanghaï, les troupes de Hirohito attaquent Nankin, "la Capitale du Sud". En décembre 1937, le gouvernement chinois s'enfuit. Après quelques jours de combat, la ville tombe aux mains des Japonais, qui se lancent dans une entreprise systématique de massacre des troupes chinoises (entre 200 000 et 300 000 morts selon les estimations) et d'asservissement de la population, surtout les femmes, transformées en esclaves sexuelles.
Faire un film sur un tel sujet, c'est courir le risque de tomber dans deux écueils. Soit on fait dans la démagogie larmoyante façon Liste de Schindler. Soit on fait dans l'horreur, au risque de rendre le film insupportable.
L'intelligence de Lu Chuan est d'avoir su éviter ces deux risques pour faire une œuvre remarquable en de nombreux points.
D'abord sur le plan esthétique. Le film est tourné en un sublime noir et blanc où la photographie et les éclairages diminuent les contrastes. Le film baigne ainsi dans une couleur grise. Grise comme le froid de l'hiver chinois. Grise comme les cendres. Grise comme les ruines. Grise comme la fumée qui s'élève des bâtiments enflammés ou des canons des fusils.
La caméra est très mobile, sans jamais tomber dans l'épilepsie des films américains. On suit les personnages au plus près. Les gros plans sont légion, à la recherche des émotions, des failles, des brisures, mais toujours avec pudeur et retenue. Lu veut à tout prix nous épargner le mélo : on ne peut que le remercier pour cette louable attention.
Dès les premières images, nous sommes littéralement plongés en immersion dans cette bataille. La première partie (environ une demi-heure) nous montre le conflit, les deux armées qui s'opposent. Là aussi, la photographie a son importance : la lumière grise efface les différences entre les uniformes couverts de poussière. On ne sait pas quel camp on voit à l'écran. Le propos n'est pas là : une guerre, ce sont des victimes, c'est un déchainement inouï de violence, c'est du bruit et de la fureur. Et c'est ça que nous montre le cinéaste.
Ces scènes de combat échappent au spectaculaire : le cinéaste plonge son spectateur dans une ambiance à la fois réaliste et très stylisée, triste et poétique. Il n'y a pas de dialogues, pas de héros, pas même de personnages. Des soldats, des civils, des ruines.
L'autre aspect tout aussi remarquable du film, c'est son écriture. Lu Chuan écarte un autre danger qui menaçait son film : la vindicte anti-nippone. Son film n'est pas un acte de vengeance contre l'archipel voisin. C'est la guerre elle-même qui est dénoncée. Cette guerre aussi bien que toutes les autres.
Car la guerre est déchaînement absolu de violence. Toute les barrières morales tombent les unes après les autres. Tout ce qui est beau et humain est détourné pour en faire une arme de destruction. Dans un entretien, il faut entendre le cinéaste décrire une des scènes : on y voit les troupes japonaises faire une danse rituelle au son des tambours traditionnels. Mais par une délicate science du cadrage et du montage, cette très belle danse se transforme petit à petit en acte violent, en guerre symbolique. Elle est utilisée pour redonner aux troupes la force et le courage de se battre à nouveau.
Une fois la bataille terminée, le conflit va finalement se dérouler sur un autre plan. Il y aura, bien entendu, le massacre des prisonniers de guerre. Mais aussi l'avilissement de la population. La transformation des vaincus en animaux, en sous-humanité exploitable à merci. La guerre se poursuit contre les civils, avec d'autres formes, une autre violence, qui n'est pas moins grave, ni moins perturbante.
C'est tout l'objet de la seconde partie du film, plus lente mais toujours aussi belle esthétiquement et douloureuse moralement. La ville en ruines, les cadavres qui pourrissent, les ressortissants étrangers qui tentent de sauver ce qu'ils peuvent, les bordels de campagne. Le rythme baisse, la violence des combats cède la place à un désespoir sourd, au quotidien dramatique d'une ville occupée et ravagée.
Ce film n'a pas de héros. Presque pas de personnages même. Oh ! il y en a bien quatre ou cinq dont on connaît le nom, mais on ne peut pas dire qu'ils occupent l'écran. Les hommes (au sens d'humanité, car il y a bien des femmes parmi eux) sont écrasés par le rouleau compresseur de l'Histoire. Contrairement aux films habituels du genre, il n'y a pas ici de héros, pas de sauveurs. Les individualités ne peuvent rien pour sauver les victimes.
Ce film est une splendeur de chaque instant. Une splendeur douloureuse mais nécessaire. Un film comme on aimerait en voir plus souvent, à la fois documenté et poétique, historique et universel.
Car Nankin n'est pas que Nankin.
Nankin est toute les villes martyres, depuis Troie jusqu'à Sarajevo en passant par Stalingrad.
Nankin, capitale de la douleur.

mardi 27 novembre 2012

Le carrefour de la mort

Voilà un film typique de la production de la 20th Century Fox dans les années 40. ça se présente comme un film noir, mais ça dépasse largement le genre. Au point que ceux qui attendraient un film noir traditionnel risquent d'être déçus.
D'emblée, l'enjeu social est posé. New York en période de Noël. Le paradis des achats en tous genres. Mais quand on n'a pas assez d'argent pour combler ses enfants, quand on sort de prison et que tous les emplois pour lesquels on postule sont refusés à cause de ce passé, alors on renoue avec ses anciennes connaissances. C'est ce qui arrive à Nick Bianco (Victor Mature), qu'on voit, dès la scène d'ouverture, participer au cambriolage d'une bijouterie. Il le fait avec professionnalisme, mais aussi avec honte : dans l'ascenseur, il tourne vite le dos à son reflet dans le miroir.
Film noir, film social, et surtout drame psychologique. Durant tout le film, l'ensemble des actions de Nick seront guidées par son amour pour sa famille, ses deux filles en particulier. Nick est emprisonné. L'avocat véreux Howser, qui avait commandité le cambriolage, promet de protéger la famille Bianco : Nick se tait face aux demandes insistantes de l'assistant du District Attorney, D'Angelo (Brian Donlevy). Mais quand il comprend que le truand a laissé tomber sa promesse, Nick change d'avis et décide de collaborer. Toujours dans l'intérêt de ses filles.
Cette famille qui donne une des scènes les plus émouvantes et réussies du film, quand Nick obtient l'autorisation de voir ses filles. Victor Mature, acteur sous-estimé, se révèle vraiment un choix judicieux pour ce personnage, jouant merveilleusement sur les deux tableaux : à la fois le gros dur, le caïd, avec sa carrure impressionnante et son visage marqué, et l'homme bon, tombé dans le crime parce qu'il n'en avait pas vraiment le choix, et tout disposé à mener une vie de famille tout ce qu'il y a de plus normal et juste. Tour à tour inquiétant ou émouvant, il est formidable.
Face à lui, Richard Widmark tient le rôle qui le rendra célèbre, un des meilleurs de sa carrière, un des plus marquants. Il est Tommy Udo, tueur professionnel, personnage terrifiant car on sent qu'il aime tuer. Sûrement drogué, il semble avoir perdu tout sens moral pour s'enfoncer dans une vie où ne règne que la violence. La scène où il pousse dans l'escalier une femme handicapée est une des plus célèbres du film.
Udo est l'exact opposé de Nick : petit blond quand l'autre est grand et brun, il semble ne plus posséder la moindre once d'humanité. L'opposition s'accentue encore dans le traitement des femmes : Nick est amoureux et traite doucement son épouse, quand Tommy insulte sa maîtresse (oui, un tel homme ne se marie pas, il vit dans le péché), la rudoie et l'incite à disparaître.
Le coup de génie de Widmark, c'est son sourire. Un sourire inoubliable, carnassier, terrifiant à lui tout seul.
La réalisation d'Hathaway insiste sur le réalisme : prise de vues en décors naturels, réalisme du scénario et des personnages, le film est assez typique de la production de son époque. Il joue aussi beaucoup sur l'ambiguïté des personnages : finalement, ceux qui sont censés représenter la justice s'arrangent pour contourner celle-ci quand ça les favorise. A y regarder de plus près, les méthodes du procureur D'Angelo ne sont pas si éloignées de celles de l'avocat véreux..
Par un étrange retournement, c'est la prison qui apparaît comme le lieu le plus équitable, le plus juste, et le plus sécurisant. ça en dit long sur la morale de la société.
Le rythme est plutôt lent, ce qui est sûrement le principal défaut d'un film que j'ai trouvé parfois un peu répétitif. Mais c'est devenu au fil du temps un grand classique (ce qui est justifié, ne serait-ce que par l'exceptionnelle qualité de son interprétation), adapté par Barbet Schroeder avec Nicholas Cage, David Caruso et Samuel L. Jackson.

lundi 26 novembre 2012

Let Go

Revolver, le groupe frenchy qui fait de la pop anglaise au moins aussi bien que les ressortissants de la perfide Albion ! Voire même mieux que certains...
Je ne connaissais vraiment que de noms, mais les hasards d'une médiathèque décidément bien fournie ont mis sur mon chemin ce second album qui est une grande réussite. D'une grande unité mélodique sans jamais être répétitif, Let Go enchaîne les chansons et nous enchaînons les plaisirs. Les mélodies sont très bien foutues, entraînantes, donnent une irrésistible envie de sourire. Les voix s'accordent à merveille. En fait, tout fonctionne dans cet album.
Il n'y a peut-être aucun coup de génie qui ferait qu'une fois l'écoute terminée, on retiendrait une chanson plus que les autres. Non, c'est l'album complet qui reste dans notre mémoire comme un grand moment de détente. On sent les influences outre-Atlantique parfaitement assumées et digérées pour produire un disque qui n'est pas une imitation mais une création.
Et puis, comment ne pas aimer un album dont une chanson s'appelle Cassavetes ?

vendredi 23 novembre 2012

Little Odessa

Le début du film est fulgurant. D'abord on voit Joshua Shapiro (Tim Roth) qui abat un homme, puis il reçoit une nouvelle mission qui doit l'emmener à Little Odessa, quartier russe de Brooklyn. Il n'a pas envie d'y aller, mais il obéira quand même (ça, c'est l'intrigue criminelle, qui est secondaire dans le film). Ensuite, on voit Reuben (Edward Furlong) seul dans un cinéma (thème de la solitude). Il regarde un western où Burt Lancaster abat un homme (thème de la violence) et où un père se reproche d'avoir mal éduqué son fils (thème des responsabilités familiales, qui est central dans le film). Ensuite, Reuben rentre chez lui à travers les rues de Brooklyn (la ville est un personnage à part entière du film). Dans le modeste appartement familial, il est accueilli par une grand mère qui ne parle que russe (thème de l'incommunicabilité au sein de la famille), une mère malade et un père qui semble indifférent. Et au milieu de tout ça, un générique sans musique, aux titres tout simples (sobriété de la réalisation, qui ne se démentira pas de tout le film).
En dix minutes, tout est dit. Tout est joué. Comme dans une tragédie classique, le film ne fera que dérouler jusqu'à la fin une histoire prévisible, non pas par manque d'imagination du scénariste (qui est aussi le réalisateur, James Gray) mais par volonté de représenter des personnages prisonniers de leur destin. Prisonniers d'une sorte de prédestination sociale.
A ce titre, le scénario est formidablement construit, chaque scène est strictement nécessaire et parfaitement à sa place dans un enchaînement d'action d'une logique imparable. Il n'y a pas une image, pas une réplique que l'on pourrait enlever. On se croirait chez Racine ou chez Puccini, dans ces drames d'autant plus intenses qu'ils sont très courts, très condensés.
Souvent, on présente ce film comme un polar. "le premier grand film sur la mafia russe", dit la jaquette du DVD. C'est une erreur. Ceux qui regarderaient ce film en pensant voir un film mafieux ne pourront qu'être déçus. Nous avons ici un drame. Avec, au centre, le thème de la famille. Le bannissement d'une famille. La solitude au sein de la famille. L'incompréhension au sein de la famille. La responsabilité d'un père qui veut protéger sa famille.
Au détour d'une scène, on comprend que l'origine de tout pourrait se trouver dans cette famille. Cette famille déclassée. Une famille qui "s'en sortait bien" quand elle était en Russie, mais qui ne s'en sort plus maintenant. Immigrée, étrangère, coupée de ses traditions. Reuben est l'image de ce fossé qui s'est creusé. Il est américain, alors que sa grand mère est russe. Il ne parle plus la langue familiale. Il se sent étranger dans cette famille. Il ne s'y retrouve plus.
La qualité principale du film, c'est sa réalisation. James Gray ne cède pas aux facilités d'une telle histoire. Pas de violence gratuite. Pas même de fascination pour la violence, qui, quand on la voit, nous est montrée de façon sordide. Pas de musique tonitruante. Pas d'effets spectaculaires. Une photographie grise, froide, à l'image de cet hiver new-yorkais, mais aussi à l'image des relations familiales décrites ici. Pas de pathos, mais aussi pas vraiment de sympathie pour les personnages. Gray garde ses distances avec ce qu'il réalise, avec ce qu'il raconte.
La musique, les rares fois qu'elle intervient (souvent dans les scènes concernant la mère mourante, formidablement interprétée par Vanessa Redgrave), instaure une ambiance proche du mysticisme. Ambiance encore renforcée par certaines images symboliques, comme cette splendide pieta inversée, où le fils Joshua prend dans ses bras sa mère mourante. Les dieux sont présents, comme dans toute tragédie.
Les acteurs sont tous excellents. Tim Roth est à l'image du film : il fait une interprétation froide, distante, qui empêche toute sympathie avec son personnage. Maximilian Schell est excellent en père ambigu, à la fois détestable mais jamais condamnable, tant on comprend qu'il fait tout ce qu'il croit bon pour sauver son seul fils Reuben (l'autre fils, Joshua, étant banni).
Un très grand film, une première œuvre d'une intensité extraordinaire, qui préfigure à merveille un cinéma d'une grande unité, celui de James Gray, un des plus grands réalisateurs de la jeune génération, celui dont on sent qu'il sera capable, un jour, de réaliser le chef d’œuvre absolu, un peu comme Cimino avec la Porte du Paradis.

Patton

George C. Scott.
Rarement l'image d'un acteur restera aussi attachée à un rôle.
George C. Scott est Patton, et c'est l'attrait principal de ce film.
Alors, bien sûr, la réalisation est solidement menée, le scénario (co-écrit par Francis Ford Coppola) est subtil et intelligent, les autres interprètes tiennent bien leurs rôles (à commencer par Karl Malden, que je retrouve toujours avec plaisir). Jusqu'à la musique de Jerry Goldsmith, qui est excellente (et m'a un peu rappelé la partition composée par Elmer Bernstein pour La Grande Évasion, de Sturges). Le film multiplie les points forts. Mais le sommet reste George C. Scott.
Le film nous présente donc les faits et gestes du général Patton pendant la Seconde Guerre Mondiale, du Maroc aux Ardennes en passant par la Sicile. Et ce personnage capte tous les regards. Excentrique, parfois extrémiste, cultivé, imbu de sa personne, doté d'un égo surdimensionné, passionné par l'histoire au point de s'inspirer des guerres romaines pour sa stratégie, Patton apparaît vite comme un ennemi redoutable pour les Nazis. Et un allié tout aussi redoutable pour son propre camp.
Car le personnage est peu diplomate. Du coup, il froisse les Russes, agace Montgomery et parvient même à mettre en colère le chef suprême, Eisenhower.
L'invasion de la Sicile en est un grand exemple, ainsi qu'une des meilleures séquences du film. Son plan ayant été refusé par Eisenhower au profit de la stratégie de Montgomery, Patton va quand même faire ce qu'il veut, désobéir aux ordres (faisant semblant de ne pas les avoir reçus) qui lui intimaient de soutenir le général anglais et délivre Palerme seul. Et quand on lui ordonne de ne pas prendre Palerme, il répond : "Dois-je la rendre aux Nazis ?"
Constamment, cette personnalité est montrée comme un anachronisme, donc une énigme aux yeux des Nazis. De nombreuses scènes nous montrent le QG de Jodl (chef d'état major de l'armée allemande), où les officiers du renseignement essaient de décortiquer la psychologie du général américain pour prévoir ses coups. Mais rien n'y fait. "Patton est un romantique des temps modernes. Son secret, c'est le passé."
Le problème, c'est qu'il est presque aussi dangereux pour les siens. Une scène nous le montre visitant un hôpital de campagne. Il est affable, agréable, encourageant, aimant avec les soldats blessés au front. Mais dès qu'il rencontre un dépressif, un jeune homme dont les nerfs ont lâché suite aux énormes risques encourus, Patton voit rouge, tabasse le soldat et interdit strictement qu'il soit hospitalisé.
L'un des grands avantages du film est d'éviter l'hagiographie. Patton n'est pas un saint. Grand stratège, génie militaire, il est également brutal, injustement violent (il fait abattre les deux mules d'un pauvre paysan parce qu'elles bloquaient la route) et aveuglé par son ambition. Lancé dans une querelle d'égos avec Montgomery, Patton va faire une véritable course à travers la Sicile pour délivrer Messine, sans tenir compte un seul instant de la faiblesse de ses troupes.
Et puis surtout, Patton aime la guerre. C'est le reproche principal que lui fait Bradley (Karl Malden) : pour lui, la guerre est une passion. Un des officiers nazis affirme que si la guerre s'achève, cela tuera inévitablement le général (ce qui est vraiment le cas : il mourra en décembre 1945, mais le film ne le montre pas).
Mais avec lui s'achève une certaine conception de la guerre. Patton est le dernier de sa catégorie. Un général exigent, fier, difficile, mais qui a redressé le moral de ses troupes et les a rendues fières de combattre.
Le film est divisé en trois parties : d'abord les conflits en Afrique du Nord et en Sicile, puis une période où le général sera mis sur la touche à cause de ses excentricités trop peu politiquement correctes, et enfin la bataille des Ardennes. La seconde partie est forcément plus lente, plus calme, mais permet d'approfondir encore le personnage. Un personnage à la Alexandre Dumas, querelleur, parfois outrancier, mais aussi un cador dans son domaine. Bien souvent, à travers sa sévérité, voire même son intransigeance, on devine son amour pour ses hommes.
Pas de problèmes de rythme, une mise en scène solide (Schaffner, le réalisateur de La Planète des singes, connait très bien son métier).
Un très bon film, à mi-chemin entre le biopic et le film de guerre (les deux genres que j'aime le moins), sans vraiment faire partie d'aucun genre en particulier. Et des oscars parfaitement mérités, entre autres pour George C. Scott, qui tient là le rôle de sa vie.

Fritz Lang interrogé par William Friedkin

Fritz Lang interrogé par William Friedkin. Le premier avait abandonné sa carrière depuis presque 15 ans, perdant progressivement la vue. Le second venait de sortir L'exorciste et French Connection. Voilà qui ne peut être qu'alléchant.
J'avoue d'emblée une petite déception quand même. Lang parle de sa vie, de ses débuts, mais finalement relativement peu de cinéma.
Mais quand même, il y a de grands moments. Quand Lang explique sa rencontre avec Goebbels. Ou quand il parle de la réalisation de M. le Maudit, expliquant comment, pour la scène du jugement du criminel (à la fin), il avait choisi de véritables membres de la pègre allemande.
On voit aussi, au détour de quelques répliques cinglantes, à quel point le réalisateur avait un caractère bien trempé. Il renvoie plusieurs fois Friedkin dans les cordes. Il avait encore de l'énergie, le maître.
Hélas, on ne peut vraiment qu'être déçu par les absences du film : rien sur sa carrière américaine, par exemple. Ni sur son retour en Allemagne, avec Le Tigre du Bengale, par exemple. Encore moins sur sa participation au Mépris, de Godard.
Mais, en échange, on apprend beaucoup sur sa jeunesse et comment il devint cinéaste. Et on boit ses paroles, même avec un arrière-goût de déception.

Ce documentaire a été vu comme bonus sur le dvd de House by the river

mardi 20 novembre 2012

Skyfall

Attention, cette critique comporte des spoils.
Accusée d'avoir affaibli la sécurité nationale, M. passe devant une commission dirigée par sa ministre. Celle-ci lui répète que le MI6 est dépassé, obsolète, qu'il n'est plus en conformité avec les problèmes du monde actuel. Cette accusation avait été faite à la série des James Bond depuis plusieurs années. Beaucoup de critiques (professionnels ou amateurs) pensaient que la série n'avait plus lieu d'être. Les films restaient, selon eux, basés sur un monde bipolaire Est-Ouest qui n'existait plus. 007 était dépassé, ringardisé par des héros comme Jason Bourne, par exemple.
Pierce Brosnan avait déjà répondu partiellement à cette critique. Mais depuis l'arrivée de Daniel Craig, Bond a complètement changé de visage. Le héros infaillible est devenu un homme, avec ses faiblesses et ses défauts.
Un homme mortel. C'est d'ailleurs ce qui occupe la première partie du film. Après une vertigineuse séquence d'ouverture en Turquie, les services secrets britanniques connaissent une double défaite : la mort de 007 et la mise en danger de tous les agents infiltrés au monde. M. est ridiculisée. L'invraisemblable est devenu possible.
Je ne dévoilerais aucun secret d'état en affirmant que, bien sûr, James Bond n'est pas mort. Mais envisager une telle éventualité, voir M. écrire la notice nécrologique de l'agent, c'est presque un tabou qui tombe.
D'autant plus que, si Bond n'est pas mort physiquement, il est quand même grandement affaibli, tant au physique qu'au moral. Au moral parce qu'il hésite à reprendre du service. Finalement, il est plutôt tranquille sur sa plage à se saouler la tronche. Et au physique aussi car il ne semble plus capable de grand chose. Ses tests d'aptitude reviennent négatifs : Bond n'est plus apte au service. Sa main tremble, il ne peut plus viser, il est vite essoufflé, etc.
Cette première partie est donc aussi formidable qu'inédite. L'agent et sa patronne sont presque virés du MI6. La sécurité mondiale est en danger à cause de l'agent britannique. Et un attentat touche le bureau de M.
Vient ensuite une seconde partie plus classique : enquête en Chine à la poursuite d'un tueur professionnel, puis rencontre de Séverine, qui entraîne Bond sur une petite île déserte et en ruine.
Et c'est là qu'apparaît notre méchant. Il arrive relativement tard dans le film, il reste longtemps un mystère, mais il va occuper l'écran pendant quasiment tout le reste de Skyfall. Et c'est très bien.
Là où Silva est un méchant particulièrement dangereux, c'est qu'il représente l'envers de Bond. La part sombre de l'agent. Depuis l'excellent Casino Royale, on comprend que Bond est constamment au bord de l'illégalité, qu'il est toujours tenté par la violence pure, par le non-respect des ordres mais aussi de la morale. Un agent borderline.
Et Silva, c'est ce que deviendrait Bond s'il cédait à sa violence naturelle. Silva est un taré, mais il ne cherche, finalement, qu'à rétablir une justice selon ses propres règles, sans se référer à personne. Ancien agent du MI6, il est ce qui menace constamment Bond, la face sombre de 007.
La parallélisme entre les deux personnages est encore accentué par leur rapport à M. Même si c'est présenté sans grande finesse, cette relation mère-fils est très bien vue. Silva appelle constamment M. Maman. Et, au-delà de la simple vengeance, sa volonté de "tuer la mère" est sûrement très proche de ses attirances homosexuelles (incroyable scène où il caresse Bond).
Le nouveau James Bond est donc un film dense, une grande réussite, occupant une place un peu à part dans la série. La réalisation réserve quelques très belles scènes, comme ce combat en ombres chinoises ou l'impressionnante montée de tension quand Silva se dirige vers le tribunal.
Mais l'idée de génie reste le final, dans la vieille demeure familiale des Bond, dans le paysage désolé, magnifique et inquiétant des Highlands.
Car si on veut faire de Bond un humain, loin des super-héros, il lui faut un passé. Et Skyfall est l'épisode où Bond replonge dans son enfance.
Craig est excellent. Judi Dench est excellente. Javier Bardem est inoubliable. Par contre, je reste plutôt déçu par la James Bond Girl française, loin de tenir ses promesses (il faut avouer, à sa décharge, qu'elle n'a que trois scènes).
Autour de Bond, une nouvelle équipe se forme. Saluons l'arrivée de Naomie Harris, Ralph Fiennes (qui réussit à être séduisant avec des bretelles : faut le faire) et surtout Ben Whishaw, qui interprète un Q tout en humour, symbole de cette nouvelle génération et de la volonté de donner de nouvelles bases à la série.
Même la chanson, signée Adele, et le générique sont des réussites. C'est dire à quel point Skyfall, malgré quelques petits temps morts, est un épisode incontournable de la série.

lundi 19 novembre 2012

Open Range

Il a dû falloir une certaine dose de courage à Costner pour imposer un tel film à Hollywood. En effet, de puis une trentaine d'années, les westerns ne sont plus en odeur de sainteté dans le cinéma américain. Ou alors, si on produit, c'est pour s'affranchir des règles traditionnelles du genre. Western à la limite du surnaturel avec Pale Rider. Mort du western avec Impitoyable. Western contemplatif avec L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Autant de très bons films, voire de chefs d’œuvre, mais aucun western classique.
Eh ben Costner, lui, il fait un western classique, traditionnel.
Le début nous montre quatre cowboys conduisant leur troupeaux dans les grandes prairies. Et c'est, de très loin, ce que j'ai préféré dans le film. Les paysages sont sublimes et le cinéaste insiste sur une description réaliste de la vie des cowboys. Loin des images d'Epinal auxquelles nous sommes habitués, il nous montre à quelle point c'est une vie difficile, un travail rude, ardu, épuisant. Mais qui a ses bons côtés, entre autres cette liberté absolue qui tient tant au cœur des Américains. C'est beau, c'est poétique, c'est une sorte de lyrisme du quotidien.
Puis vient le conflit. C'était inévitable. On ne pouvait pas faire un film de 2h20 avec quatre gaillards dans les prairies. Il fallait autre chose. Et c'est là que ça se gâte un peu.
Le conflit est très classique. Il oppose les cowboys itinérants (nos quatre héros) et un grand propriétaire. On tombe assez vite dans la caricature : le riche éleveur qui fait peur à tous ceux qu'il ne peut pas corrompre. Le marshall pourri et violent qui fait respecter une version toute personnelle des lois.
Il faut bien avouer que Costner est moins à l'aise pour filmer les scènes tendues que pour les grands paysages. Il ne réussit pas vraiment à créer une ambiance violente, nerveuse. De plus, cette partie est plus prévisible.
Mais finalement, ce n'est pas si grave que ça, tant cet aspect m'a presque paru secondaire.
L'important est ailleurs. Open Range est un film de personnages. Depuis le début, Costner parvient à nous intéresser à des hommes bourrus, taiseux, qui ont choisi ce métier pour fuir quelque chose et qui restent souvent plongés dans leur mutisme.
Cette situation dangereuse va pousser ces hommes à se dévoiler, à s'ouvrir les uns aux autres. Et ces scènes de confessions sont parmi les plus belles du film, les plus émouvantes en tout cas. Le cinéaste est aidé en cela par l'interprétation, en particulier Robert Duval, dont le charisme et le talent font de l'ombre aux autres acteurs.
Au final, un bon film, qu'il est préférable de voir sur grand écran pour profiter pleinement des splendides paysages.