Citation

"Ce n'est que lorsque l'homme sera parvenu au terme de la connaissance de toutes choses qu'il pourra se connaître lui-même. Car les choses ne sont que les frontières de l'homme." F. Nietzsche

mercredi 19 décembre 2012

Léviatemps

Paris, 1900. Guy de Timée est un écrivain à succès. Riche, bien marié, il mène la vie bourgeoise idéale. Jusqu'à ce qu'il fasse une double découverte fatidique.
La première découverte s'appelle Arthur Conan Doyle (énorme merci à Maxime Chattam de rendre hommage à ce grand écrivain). En lisant des romans policiers, Guy se rend compte que seul ce genre est capable de reproduire toute la complexité de l'âme humaine, jusque dans ses plus terribles profondeurs.
La seconde découverte est la conséquence de la première : Guy se rend compte qu'il ne connaît pas ces bas-fonds de l'inconscient. Sa vie bourgeoise l'a éloigné de ses compatriotes, des humains en général. S'il veut produire un roman vraiment profond, il doit pouvoir observer les humains, donc se fondre en eux.
Il va alors abandonner sa vie, sa fortune, sa femme, sa fille, toute sa famille, et part vivre dans le grenier poussiéreux d'un bordel parisien chic, où il est homme à tout faire. C'est là qu'on le rencontre au début de ce roman (tout ce que je viens d'expliquer, on le découvre par la suite).
Le roman s'ouvre sur un hommage aux romans policiers, résolument considéré comme un genre noble et non un simple divertissement. Chattam prêche pour sa paroisse.
Mais il joue aussi beaucoup sur les ambiguïté du genre. S'il est évident que Guy représente Chattam lui-même, on retrouve dans le roman les interrogations du romancier. Est-on totalement sain d'esprit quand on écrit des horreurs pareilles ? Cela n'a-t-il pas une influence néfaste sur l'auteur lui-même ? Et le lecteur, est-il bien raisonnable, lui aussi, de lire de telles choses ? Les interrogations de Chattam nous reviennent en pleines figures quand un médecin s'étonne de voir Guy s'intéresser à des sujets aussi sordides.
Le roman est une enquête. De cette partie-là, il est évident que je ne dévoilerai que le moins possible.
L'intrigue m'a beaucoup fait penser à l'histoire de Jack L'Eventreur transposée à Paris. Des quartiers louches et glauques, des prostituées assassinées de façon méthodique, minutieuse, un meurtrier sadique et cruel mais aussi très intelligent, une police qui bâcle l'affaire, etc.
La structure du roman m'a rappelé celle des Promesses des ténèbres, le dernier grand Chattam. La quête du criminel se transforme en une double plongée : une plongée dans les bas-fonds de la ville, et une plongée (sûrement plus dangereuse encore) dans les bas-fonds humains. On comprend très vite que la ville est une métaphore de l'être humain, un paysage mental; et ce n'est pas un hasard si, dans ces quartiers mal famés, on retrouve les deux "activités" primaires de tout animal, la reproduction et la sauvegarde de son territoire (donc la violence).
Les habitués de Chattam reconnaîtront ici son thème fétiche : l'être humain n'est qu'un animal. Les quelques siècles de "civilisation" n'ont pas suffi à étouffer ses instincts les plus grégaires. Sa civilité n'est qu'un mince vernis qui craque facilement, laissant échapper les pires noirceurs de l'âme humaine. Et, toujours selon l'écrivain, ces noirceurs sont en chacun de nous et n'attendent que l'occasion idéale pour faire surface. Ainsi, même le gentil enquêteur est susceptible de se transformer en criminel de la pire espèce, et cette menace plane sur tout le livre.
Comme toujours chez Chattam, ce roman est absolument passionnant. Les chapitres sont un peu plus longs que d'habitude (une dizaine de pages en moyenne) mais le rythme reste soutenu et ne faiblit pas un seul instant. Les fausses pistes se multiplient. Les personnages sont toujours en route pour quelque chose : lieu d'un crime, visites de suspects, morgue, Exposition Universelle. Tous ces trajets entraînent de nouvelles informations. L'enquête avance sans cesse, mais chaque réponse entraîne son lot de questions.
Moins horrible dans les descriptions de cadavres, Léviatemps (quel beau titre !) baigne du début à la fin dans une ambiance glauque et sordide. La narration de Chattam est, comme d'habitude, passionnante.
Un roman de divertissement intelligent.
Et chronophage.

vendredi 14 décembre 2012

Harakiri

Le début du XVIIème siècle entraîne de profonds changements dans la société japonaise. Le shogun (sorte de général en chef) devient le véritable dirigeant du pays, l'empereur étant cantonné dans un simple domaine religieux. Le shogun va assurer son autorité en réduisant le nombre de clans et en les asservissant. De nombreux samouraï, qui étaient au service des chefs de clans, se retrouvent sans maîtres : ce sont les ronin. Certains se sont reconvertis en professeurs de sabre, d'autres en artisans. D'autres encore sont devenus vagabonds, voire même voleurs de grands chemins.
C'est dans ce contexte que s'ouvre Harakiri. Hanshiro Tsugumo (Tatsuya Nakadaï) est un de ces ronin. Il frappe à la porte du palais du clan Ii en prétendant vouloir trouver un lieu digne pour faire harakiri (pratique qui peut se faire en public, avec l'aide d'un assistant qui coupe la tête). Avant d'accepter, l'intendant du clan lui raconte l'histoire de Chijiwa, un autre ronin qui avait fait la même demande quelques temps auparavant.
Commence alors un jeu d'aller-retour entre le passé et le présent, jeu complexe et dense. Car rien n'est laissé au hasard dans la construction du film, chaque scène du passé répondant ou éclairant le présent. Les révélations sont distillées au fil du film, et même si le spectateur comprend assez vite les enjeux principaux, il ne peut qu'être surpris par certains éléments de détail. Et par les correspondances entre les deux temporalités.
Le cadre où se déroule le film est formidable. Si on y regarde de plus près, le film n'est que la succession de deux récits, celui de l'intendant et celui de Tsugumo, le plus important et le plus long. Ce long récit est magnifiquement filmé. Le ronin est agenouillé sur un carré blanc au milieu d'une cour du palais ; devant lui, l'intendant du clan. Tout autour, les gardes et d'autres samouraï. Il y a un aspect théâtral encore renforcé par le jeu exagéré de Nakadai, assez typique du théâtre traditionnel nippon. Son regard est terrifiant, et sa voix d'outre-tombe semble nous indiquer qu'il est déjà mort (la déchéance sociale est équivalente à la mort).
Au fil du récit, l'ambiance devient de plus en plus tendue, et on comprend que le combat final sera inévitable. Et qu'il sera brutal. La réalisation est terrible car elle renforce la violence des propos et de l'atmosphère. Beaucoup de gros plans (le regard de Nakadai !), voire même ces plans en diagonal si caractéristiques de Kobayashi (on les retrouve dans La Condition de l'homme, par exemple).
Comme tous les chefs d'oeuvre, Harakiri à la fois appartient à un genre et dépasse ce genre.
C'est un chambara, un film de sabre, ce genre parmi les plus populaires du cinéma japonais. Et il en respecte certains codes : le personnage du ronin, les clans, le grand combat final, les injustices à réparer, etc.
Mais, bien entendu, Harakiri est intéressant par sa façon de transcender le genre. Car ce film est une attaque virulente contre le code d'honneur des samouraï et contre l'injustice du système politique instauré par le shogun. Critique plutôt rare mais d'autant plus importante dans un pays où la hiérarchie a une telle importance.
Il ne faut pas commencer Harakiri en attendant un film d'actions. Un seul combat, à la fin. Mais un grand drame social et politique, parfois très violent (le seppuku de Chijiwa est une des scènes les plus insupportables qu'il m'ait été donné de voir).
Un film exceptionnel, complexe, agissant sur plusieurs niveaux de compréhension, superbement écrit et filmé.

mercredi 12 décembre 2012

Les Bêtes du sud sauvage

Le film pourrait s'appeler "Le Monde de Hushpuppy", tant la petite fille en est le centre, le cœur, la raison d'être. D'ailleurs, tout est montré à hauteur de fillette : cadrages, voix off, montage, nous plongeons dans le monde de Hushpuppy, dans ses pensées, sa compréhension de l'univers, les images qui se bousculent dans sa tête, etc. Quand le bruit du tonnerre se rapproche, on voit à l'écran un iceberg qui s'effondre dans l'eau, car la maîtresse en avait parlé dans la matinée.
Le regard de la gamine mêle lucidité, clairvoyance et vision magique. Elle a des réflexions que ne devrait pas avoir un enfant de son âge (sur la possibilité de manger des animaux quand il n'y aura plus de nourriture). Mais son imagination infantile permet de ré-enchanter le monde, et surtout de pallier l'absence de sa mère.
Huspuppy vit donc seule avec son père depuis que maman est partie à la nage. Ils vivent dans une cabane au milieu des marécages, de l'autre côté de la digue. Nous sommes en Louisiane, dans un "village" appelé La Baignoire. Une Louisiane marquée par Katrina : la présence de la digue, qui est plus une menace qu'une protection, est un exemple du traumatisme vécu dans la région.
La digue qui sépare deux mondes. Wink, le père de Hushpuppy, lui explique : il y a deux mondes, les hommes de l'eau et les hommes de la terre sèche. Deux humanités différentes. Deux façons de vivre qui paraissent incompatibles, tant les "hommes du sec" veulent assimiler les autres, les empêcher de vivre comme ils l'entendent.
L'eau a une importance capitale dans le film. Elle est à l'image de toute la nature, à la fois menace et protection. L'eau est familière, parce qu'on y vit tout le temps. Elle est nourricière, car elle fournit les crustacés et les poissons. Mais elle est aussi une menace constante, par les inondations qui emportent corps et maisons, mais aussi parce qu'elle permet l'approche des alligators.
Les Bêtes du Sud sauvage, c'est un film sur la précarité. Tous les personnages vivent sur des équilibres instables qui menacent constamment de s'écrouler.
Précarité sociale pour commencer. Hushpuppy, son père et nombre d'autres personnages survivent dans des cabanes, dans des terrains vagues boueux et malsains. Ils n'ont accès ni à l'eau courante, ni à l'électricité, ni à une nourriture saine, ni aux soins, etc.
Précarité de la santé aussi : la maladie du père installe très vite de le thème de la vie et de la mort, thème encore renforcé par la présence de cadavres d'animaux qui longent les rives inondées.
Précarité climatique : très présent dans la première moitié du film, le thème de l'équilibre naturel en train de basculer est essentiel. Hushpuppy vit au milieu des animaux. Le lien avec la nature est paradoxal, mais c'est le lien de tous les hommes : se servir de la nature pour survivre, tout en se souvenant que, en un rien de temps, la nature peut nous balayer comme elle veut. Dans ces bayous de Louisiane, jamais l'homme ne se croit supérieur aux animaux. Au contraire : le plus grand compliment que fait le père à sa fille, c'est de la traiter d'animal (et c'est vraiment un compliment dans sa bouche).
Finalement, c'est tout l'univers de Hushpuppy qui vit dans la précarité. Avec talent, le cinéaste parvient à nous faire ressentir la fragilité de tout ce monde, les menaces qui tournent autour (représentées par les aurochs). La fin d'un monde (avec le père) et l'adaptation au monde nouveau avec une humanité nouvelle (avec Hushpuppy).
En à peine plus de 1h30, le film nous montre une palette impressionnante d'émotions et de réflexions. Le cinéaste suit au plus près la petite fille, dans ses relations complexes avec son père, dans sa vision du monde, dans sa quête de la mère, etc.
Le rythme alterne passages quasi frénétiques et scènes plus contemplatives et calmes (nécessaires, car sans elles le film serait insupportable).
Bien des fois, j'ai pensé à du Steinbeck (version Louisiane, et non plus Californie) : pauvreté, prédestination et violence sociales, quêtes de la mère comme dans East of Eden, etc. Une humanité d'exclus, fatigués mais vivants et bien décidés à s'accrocher, survivre et s 'adapter face à des aurochs représentants toutes les violences qui s'opposent à eux.
Un premier film formidable, extrêmement émouvant, avec quelques doses d'humour (mais peu) et pas mal de violence. De nombreux prix amplement mérités (dont la Caméra d'Or à Cannes en 2012), et peut-être encore d'autres dans l'avenir. Et des interprètes qui incarnent véritablement leurs personnages, au point que, plusieurs fois, le film se rapproche du documentaire.
Sur les rapports fragiles entre l'homme et la nature, certains cinéaste feraient bien de s'inspirer de l'énergie et de la beauté de ce film (n'est-ce pas, monsieur Malick...)

lundi 10 décembre 2012

Event Horizon

Quand on dit du mal d'un film que tout le monde est censé aimer, on nous regarde de travers.
Voyons ce qui va arriver si je dis du bien d'un film qui fait quasiment l'unanimité contre lui.
Car j'ai plutôt aimé ce film, quoi qu'en disent mes éclaireurs et malgré sa moyenne basse.
Bien sûr, les trucages sont primitifs (ou, plus sûrement, les producteurs étaient trop fauchés pour s'offrir des trucages qui tiennent la route). Les acteurs sont mauvais (pour les meilleurs d'entre eux). Même Sam Neil, que j'aime beaucoup d'habitude, est à la limite du pathétique. Lawrence Fishburne est à son habitude : inexpressif. Les autres sont à l'avenant.
Le film se présente comme un mélange de science-fiction et de film d'horreur. Et si la partie horreur est loupée, j'ai trouvé la SF énigmatique et prenante.
En 2040, un vaisseau appelé Event Horizon est envoyé explorer les confins du système solaire. Il va très vite être porté disparu. Sept ans plus tard, un vaisseau de secours, Lewis & Clark, est envoyé en mission secrète (l'expression fait rire le spectateur, tant il est évident qu'il s'agit de retrouver l'Event Horizon).
L'horreur tente quelques scènes choc et essaie, en vain, de faire sursauter son spectateur deux ou trois fois. Mais on s'enfonce trop vite dans le sanglant et le torturé. De plus, les scènes d'action sont filmées juste comme il ne le faut pas : avec des ralentis tout pourris et plein d'étincelles pour montrer de terribles explosions (film fauché, je vous le redis).
Et pourtant, je ne me suis pas ennuyé une seule seconde. C'est l'aspect mystérieux qui m'a accroché au film. Qu'est-il arrivé à l'Event Horizon ? Où est-il allé et qu'a-t-il ramené de là-bas ? Les révélations, espacées tout au long du film, ont su m'intéresser suffisamment. La dernière transmission ou le journal de bord du vaisseau implantent bien un ambiance angoissante en ne montrant rien, en laissant juste deviner l'intensité de l'horreur subie.
Parce que, finalement, ça a des avantages de voir un film fauché : le cinéaste est obligé de limiter les trucages, donc il joue sur la suggestion. Et c'est peut-être ce qui a sauvé Event Horizon pour moi.
Et puis, ce n'est pas un film prétentieux. Alors qu'il joue sur un terrain similaire à Prometheus, j'ai largement préféré Event Horizon car il ne tente pas de se faire passer pour un chef d’œuvre.
Mais ne nous leurrons pas : ça reste une petite série B vite-vue-vite-oubliée, avec des dialogues nases et un scénario incohérent (depuis quand on embarque un claustrophobe dans un vaisseau spatial ?).

L'homme du président

Chuck Norris est spécialiste en arts martiaux.
Chuck Norris est professeur (ha ha ha ha... pardon). Il découpe des pommes avec le sabre qu'il avait auparavant utilisé pour menacer un élève moqueur.
Chuck Norris maîtrise la cérémonie du thé.
Chuck Norris lit un gros livre à côté d'une cheminée.
Chuck Norris est l'homme du président.
Mais, me direz-vous, qu'est-ce qu'un homme du président ?
C'est une institution qui remonte à Abraham Lincoln (si on croit les films américains, tout ce qui est bien aux USA provient d'Abraham Lincoln. Cet homme est une sorte de mélange du Roi David, de Jules César, de Superman et du Mahatma Gandhi. Et si quelque chose est créé par Abraham Lincoln, alors cette chose est sacrée, vénérée, intouchable).
L'homme du président, c'est un mec à la fois cool et super-costaud qui est envoyé en missions secrètes pour le compte de la Maison Blanche, qui maîtrise tous les arts martiaux de la mort qui tue et dont l'identité doit rester inconnue.
Dès le début du film, Chuck Norris saute d'un avion supersonique (ha ha ha ha ha... re-pardon) et atterrit dans un mouchoir de poche sur le toit d'un hôtel de Rio de Janeiro où des idiots ont pris en otage la femme du président.
Par la suite, le même Chuck Norris va mettre fin au trafic de drogue en démantelant un réseau colombien.
Mais Chuck Norris doute de ses capacités. Chuck Norris devient vieux. Alors, Chuck Norris va former son remplaçant, doté aussi bien d'une musculature impressionnante que d'un sens aigu de l'honneur. Et du cerveau d'une crevette. C'est ensemble qu'il vont casser du colombien dans la jungle, avec forces coups de poings, de pieds, de tête, de couteaux, de fusils mitrailleurs, de pistolets, et j'en passe.
Les méchants se reconnaissent facilement : ils ne sont pas Etatsuniens, et ont une forte propension à être d'une couleur de peau suspecte. Des Sud-Américains (Brésiliens, Colombiens) avec un Viet-Namien qui s'est perdu par là. Ils sont pas beaux, souvent barbus et chevelus. Et ils ne savent pas tirer.
Bien entendu, le scénario est à hurler de rire. Les incohérences sont tellement flagrantes que ça constitue un spectacle en soi. Un satellite qui peut remonter dans le temps. La Première dame américaine qui se promène sans le moindre garde du corps, à la merci du plus petit terroriste possible.
Il en faut de l'humour pour regarder ce film si mal foutu. Car tout y est nul. Mais, comme dans tous les vrais grands nanars, le spectacle reste très drôle et idéal pour une soirée entre potes.

Les Forbans de la nuit

Le spectateur est plongé dans l'ambiance dès les premières images du film. On assiste alors à une course-poursuite, réalisée et montée d'une façon qui en montre toute la rapidité et la violence. Un homme, que l'on reconnaît pour être interprété par Richard Widmark, est poursuivi à travers les ruelles sombres de Londres par plusieurs personnages qui ne veulent sûrement pas lui demander l'heure. Et au milieu de cette poursuite brutale, un plan rapide en dit long sur le personnage : il perd la fleur de sa boutonnière et n'hésite pas à perdre quelques précieuses secondes pour faire quelques pas en arrière, la ramasser et la remettre en place.
Il s'appelle Harry Fabian et c'est un des plus grands exemples d'anti-héros à ma connaissance. C'est un petit minable sans envergure, irresponsable et immature, dépourvu de morale, pas très malin mais très ambitieux. Petit coursier pour le patron d'une boîte de nuit, il rêve de se faire un nom et de devenir riche, mais sans travailler. Il n'hésite pas à voler de l'argent dans le sac de Mary (la magnifique Gene Tierney), sa chérie ; et quand elle le prend la main dans le sac (c'est le cas de le dire), il ose en plus proférer quelque mensonge invraisemblable et s'y rattacher comme s'il y croyait lui-même.
Le couple est vraiment antithétique. Elle travaille, fait de son mieux, se sacrifie tous les jours pour lui et l'aime sincèrement. Lui refuse tout travail et préfère sa vie de parasite, attendant vaguement une occasion de devenir riche comme si ça allait lui tomber du ciel.
Et quand il croise le lutteur Gregorius (dont il n'avait jamais entendu parler jusqu'alors), il croit que cette occasion est enfin venue. Sa décision est prise : il va devenir manager d'une salle sportive et dominer tout le domaine de la lutte à Londres. Or, ce milieu est déjà dirigé par quelqu'un, un de ces mafieux peu sympathiques et surtout peu enclins au dialogue et au partage. Il s'appelle Kristo.
Et Kristo est le fils de Gregorius.
Avec une rapidité extraordinaire, le film se déroule vers sa fin comme une tragédie. Implacable, il ne laisse aucune chance à ses personnages. Dès le début, on devine que notre pauvre Harry finira mal, et on ne se trompe pas trop. La question éventuelle pourrait être : tombera-t-il seul ou en entraînera-t-il d'autres avec lui ?
Le rythme est un des éléments essentiels du film. Tout est montré au pas de course. Harry ne cesse de courir. Il le dit lui-même à la fin : "all my life I've been running". Le film commence par Harry qui court, il se termine par Harry qui court. Entre temps, il court à sa perte avec une détermination qui impose le respect.
Et pourtant, on ne peut pas s'empêcher d'éprouver de la compassion pour lui. Il est franchement idiot, voire un peu salaud parfois dans sa volonté de manipuler tout le monde autour de lui, mais finalement il nous est sympathique. Et là, le jeu de Richard Widmark, absolument exceptionnel, est une des grandes explications de la réussite du film.
Un film noir, évidemment. Noir pas seulement par son aspect tragique. Noir également par ses thèmes, par ses décors, etc. Le Londres qui nous est montré ici est celui des bas fonds, des ruelles coupe-gorge, des troquets crasseux, des armées de mendiants. Pour un peu, on se croirait replongé à l'époque de Jack L’Éventreur ; le décor, en tout cas, est le même.
Au milieu de tout cela, les personnages sont presque tous des truands, gangsters et autres brutes. Le film se déroule dans un milieu où tout se fait par la violence. On règne par la violence. On se fait respecter par la violence. Une des grandes erreurs de Harry, c'est d'avoir cru pouvoir régner par la ruse, sans avoir recours à cette violence.
De nombreux personnages sont pathétiques. Beaucoup rêvent de sortir de leur situation, sans pouvoir y parvenir. C'est peut-être, là aussi, l'une des causes de l'échec de Harry : la rancune de plusieurs qui refusent catégoriquement que l'un d'entre eux puisse réussir.
Trois personnages paraissent honnêtes dans le film. Sur ces trois là, deux sont des victimes : Mary, la femme fidèle (opposée à l'autre personnage féminin, femme fatale), et Gregorius, le champion trop naïf. On ne les voit pas suffisamment pour changer l'impression de noirceur absolue du film. C'est un univers sombre et désespéré.
La réalisation est magnifique. Des plans superbes, en particulier des contre-plongées terrifiantes car elles interviennent quand Harry est en danger extrême. Le match entre Gregorius et L’Étrangleur est un moment d'une violence impressionnante, rarement égalée, même de nos jours. Le montage met en évidence des plans courts et des scènes courtes, imposant un rythme rapide qui ne se dément pas de tout le film.
Peu de films ont cette force et cette intensité.
Un chef d’œuvre.

Rebelle

Critique garantie 100% sans jeu de mots sur Re-belle ou Re-quelque chose.
Depuis des années, les fabrications Pixar sont attendues avec impatience, tant elles constituent un certain renouveau (limité quand même) de l'animation outre-Atlantique.
Ce Rebelle est un exemple des qualités Pixar : tout ce qui concerne le décor est une franche réussite. Les paysages écossais sont sublimes, avec leurs forêts, les Highlands et tout le folklore. Car le film joue beaucoup sur toute la mythologie celtico-écossaise : haggis, cornemuses, kilts et feux follets parviennent à créer une ambiance agréable, drôle, parfois mystérieuse.
Comme souvent, les personnages secondaires sont des réussites également. Le père et les autres chefs de clans sont très drôles. Le combat entre les clans constitue une des scènes les plus réussies du film. Les trois frères sont remarquablement tête-à-claque, et parviennent avec bonheur à accélérer le rythme. Enfin, la sorcière est très intéressante.
Mais pas l'héroïne. De tous les personnages Pixar, Merida est, de très loin, la moins intéressante. Sorte de poupée Barbie victime de sa crise d'adolescence, elle reprend les thèmes ultra-déjà-vus de Disney : il faut aimer ses parents, il ne faut pas maltraiter sa famille, mais il faut aussi imposer sa liberté personnelle, etc. Personnage sans saveur, sans véritable personnalité, elle ressemble plus aux pires des Disney qu'aux meilleurs des Pixar. Que l'on est loin de Raiponce (de Disney également), de son intelligence, de son humour, de son émerveillement !
Pire ! C'est le retour des chansons insupportables de niaiseries. Au secours !
L'intrigue est très lente à démarrer, tant la crise d'adolescente boutonneuse de Merida plombe le rythme. L'arrivée des prétendants apporte une éclaircie vite oubliée : on retombe dans le banal. C'est la sorcière qui va relancer le film, sans pour autant faire dans l'originalité. Tout est prévisible. ça dégouline de bons sentiments préfabriqués.
En bref, une impression très mitigée sur ce film : des réussites dans les détails, les décors, les éléments secondaires, mais un scénario et un personnage principal qui sentent trop le déjà-vu.

dimanche 2 décembre 2012

La Chair et le Sang

Quand on connaît un peu les thèmes habituels de Verhoeven, on se dit que le Moyen-Age, ça doit être sa période de prédilection. Et ce n'est pas un hasard si ce film est une de ses plus grosses réussites, et un des films préférés des fans du cinéaste.
La Chair et le Sang. Tout le film est contenu dans ces deux termes.

La Chair :
_ chair à canon, pour commencer. Le film s'ouvre sur une scène de guerre. Le Seigneur Arnolfini a engagé de nombreux mercenaires pour prendre une ville. L'occasion pour Verhoeven de faire une scène d'ouverture comme on en voit peu. Tout est dit en quelques images.
On sait que, chez le cinéaste hollandais, la violence est inhérente à l'homme. Alors, forcément, la guerre, c'est le déchaînement de tous les instincts humains, dans ce qu'ils ont de plus bas. Violences diverses et souvent gratuites, massacres, pillages, viols, tout y passe. Et Verhoeven ne nous cache rien de cet étalage de la bestialité humaine.
Arnolfini, une fois qu'il aura obtenu ce qu'il veut (la ville et ses richesses) va se retourner contre ses mercenaires et les pourchasser (voire même en tuer quelques uns).
_ les plaisirs de la chair (et d'autres plaisirs qui les accompagnent) : quand ils ne combattent pas, les mercenaires survivants, dirigés par Martin (Rutger Hauer), se livrent aux plaisirs de la chair. L'amour physique est très présent dans le film. Mais les relations hommes-femmes sont filmées comme des combats. Là aussi, il s'agit d'une guerre, dont l'objet est la domination sur l'autre. La conquête amoureuse prend tout son sens.
A voir, pour s'en convaincre, la fameuse scène du viol d'Agnès (Jennifer Jason Leigh, pas si virginale qu'elle en a l'air pendant le film) par Martin. Scène où "l'abuseur" sexuel n'est pas finalement celui auquel on pense.

Le Sang :
_ le sang du Christ : dès la scène d'ouverture, le rôle de la religion est dénoncé. Et il le restera pendant toute l'oeuvre. La religion comme soutien du pouvoir politique dans tout ce qu'il a de plus brutal. L'hypocrisie religieuse, qui consiste, pour le clergé, à être toujours du côté du vainqueur potentiel. La religion qui permet de justifier le massacre et les pires exactions.
Le personnage du prêtre est un des plus chargés du film (mais aucun personnage n'est innocent ici). Plus ridicule que sournois, il sait quand même manipuler son monde en abusant de la superstition des mercenaires, tous d'origine populaire. L'affaire de la statue de Saint Martin est presque un running gag : la statue glisse d'un côté, c'est donc que le Saint désire que l'on aille par là.
Cependant, Verhoeven est trop subtil pour sombrer uniquement dans la critique à courte vue. Bien des fois, à travers quelques scènes spécifiques, il sait créer une légère ambiance où le surnaturel n'est pas loin.
_ à feu et à sang : les conséquences de la guerre dépasse largement le seul cadre des combattants. Tout semble perverti par l'abomination et l'immoralité. Un paysage idyllique révèle vite des cadavres pourrissants. Même l'enfance est pervertie : le jeune garçon qui assiste aux viols et les encourage en est un bel exemple. C'est la description de tout un monde de pourriture morale (qui se veut le monde chrétien, le sommet de la morale, le parangon de l'humanité).
Même l'intelligence est pervertie. Arnolfini fils paraît être l'intello de la famille, fasciné par les projets de Leonard De Vinci. Mais même cette intelligence ne peut rien : quand le sang coule, il se laisse aller à la bestialité lui aussi. On ne peut rien contre ses instincts.
_ empoisonnement du sang : la peste vient compléter le tableau de ce Moyen-Age sombre (un Moyen-Age revu par le cinéaste pour qu'il puisse correspondre à sa vision du monde, bien sûr). Un épidémie qui intervient comme une punition divine contre la bestialité humaine, mais aussi contre l'aveuglement religion. Scène révélatrice : un médecin refuse de soigner correctement la peste, sous prétexte que la méthode curative vient des Arabes, donc des infidèles.

Verhoeven signe un grand film, passionnant de bout en bout, violent, brutal, mais où l'ironie a une place importante. Aucun héros, uniquement une foule de personnages pervertis et s'enfonçant dans la fange de l'immoralité. Et des victimes.

vendredi 30 novembre 2012

City of Life and Death

1937. Le Japon se lance dans une nouvelle guerre d'invasion de la Chine. Après Shanghaï, les troupes de Hirohito attaquent Nankin, "la Capitale du Sud". En décembre 1937, le gouvernement chinois s'enfuit. Après quelques jours de combat, la ville tombe aux mains des Japonais, qui se lancent dans une entreprise systématique de massacre des troupes chinoises (entre 200 000 et 300 000 morts selon les estimations) et d'asservissement de la population, surtout les femmes, transformées en esclaves sexuelles.
Faire un film sur un tel sujet, c'est courir le risque de tomber dans deux écueils. Soit on fait dans la démagogie larmoyante façon Liste de Schindler. Soit on fait dans l'horreur, au risque de rendre le film insupportable.
L'intelligence de Lu Chuan est d'avoir su éviter ces deux risques pour faire une œuvre remarquable en de nombreux points.
D'abord sur le plan esthétique. Le film est tourné en un sublime noir et blanc où la photographie et les éclairages diminuent les contrastes. Le film baigne ainsi dans une couleur grise. Grise comme le froid de l'hiver chinois. Grise comme les cendres. Grise comme les ruines. Grise comme la fumée qui s'élève des bâtiments enflammés ou des canons des fusils.
La caméra est très mobile, sans jamais tomber dans l'épilepsie des films américains. On suit les personnages au plus près. Les gros plans sont légion, à la recherche des émotions, des failles, des brisures, mais toujours avec pudeur et retenue. Lu veut à tout prix nous épargner le mélo : on ne peut que le remercier pour cette louable attention.
Dès les premières images, nous sommes littéralement plongés en immersion dans cette bataille. La première partie (environ une demi-heure) nous montre le conflit, les deux armées qui s'opposent. Là aussi, la photographie a son importance : la lumière grise efface les différences entre les uniformes couverts de poussière. On ne sait pas quel camp on voit à l'écran. Le propos n'est pas là : une guerre, ce sont des victimes, c'est un déchainement inouï de violence, c'est du bruit et de la fureur. Et c'est ça que nous montre le cinéaste.
Ces scènes de combat échappent au spectaculaire : le cinéaste plonge son spectateur dans une ambiance à la fois réaliste et très stylisée, triste et poétique. Il n'y a pas de dialogues, pas de héros, pas même de personnages. Des soldats, des civils, des ruines.
L'autre aspect tout aussi remarquable du film, c'est son écriture. Lu Chuan écarte un autre danger qui menaçait son film : la vindicte anti-nippone. Son film n'est pas un acte de vengeance contre l'archipel voisin. C'est la guerre elle-même qui est dénoncée. Cette guerre aussi bien que toutes les autres.
Car la guerre est déchaînement absolu de violence. Toute les barrières morales tombent les unes après les autres. Tout ce qui est beau et humain est détourné pour en faire une arme de destruction. Dans un entretien, il faut entendre le cinéaste décrire une des scènes : on y voit les troupes japonaises faire une danse rituelle au son des tambours traditionnels. Mais par une délicate science du cadrage et du montage, cette très belle danse se transforme petit à petit en acte violent, en guerre symbolique. Elle est utilisée pour redonner aux troupes la force et le courage de se battre à nouveau.
Une fois la bataille terminée, le conflit va finalement se dérouler sur un autre plan. Il y aura, bien entendu, le massacre des prisonniers de guerre. Mais aussi l'avilissement de la population. La transformation des vaincus en animaux, en sous-humanité exploitable à merci. La guerre se poursuit contre les civils, avec d'autres formes, une autre violence, qui n'est pas moins grave, ni moins perturbante.
C'est tout l'objet de la seconde partie du film, plus lente mais toujours aussi belle esthétiquement et douloureuse moralement. La ville en ruines, les cadavres qui pourrissent, les ressortissants étrangers qui tentent de sauver ce qu'ils peuvent, les bordels de campagne. Le rythme baisse, la violence des combats cède la place à un désespoir sourd, au quotidien dramatique d'une ville occupée et ravagée.
Ce film n'a pas de héros. Presque pas de personnages même. Oh ! il y en a bien quatre ou cinq dont on connaît le nom, mais on ne peut pas dire qu'ils occupent l'écran. Les hommes (au sens d'humanité, car il y a bien des femmes parmi eux) sont écrasés par le rouleau compresseur de l'Histoire. Contrairement aux films habituels du genre, il n'y a pas ici de héros, pas de sauveurs. Les individualités ne peuvent rien pour sauver les victimes.
Ce film est une splendeur de chaque instant. Une splendeur douloureuse mais nécessaire. Un film comme on aimerait en voir plus souvent, à la fois documenté et poétique, historique et universel.
Car Nankin n'est pas que Nankin.
Nankin est toute les villes martyres, depuis Troie jusqu'à Sarajevo en passant par Stalingrad.
Nankin, capitale de la douleur.

mardi 27 novembre 2012

Le carrefour de la mort

Voilà un film typique de la production de la 20th Century Fox dans les années 40. ça se présente comme un film noir, mais ça dépasse largement le genre. Au point que ceux qui attendraient un film noir traditionnel risquent d'être déçus.
D'emblée, l'enjeu social est posé. New York en période de Noël. Le paradis des achats en tous genres. Mais quand on n'a pas assez d'argent pour combler ses enfants, quand on sort de prison et que tous les emplois pour lesquels on postule sont refusés à cause de ce passé, alors on renoue avec ses anciennes connaissances. C'est ce qui arrive à Nick Bianco (Victor Mature), qu'on voit, dès la scène d'ouverture, participer au cambriolage d'une bijouterie. Il le fait avec professionnalisme, mais aussi avec honte : dans l'ascenseur, il tourne vite le dos à son reflet dans le miroir.
Film noir, film social, et surtout drame psychologique. Durant tout le film, l'ensemble des actions de Nick seront guidées par son amour pour sa famille, ses deux filles en particulier. Nick est emprisonné. L'avocat véreux Howser, qui avait commandité le cambriolage, promet de protéger la famille Bianco : Nick se tait face aux demandes insistantes de l'assistant du District Attorney, D'Angelo (Brian Donlevy). Mais quand il comprend que le truand a laissé tomber sa promesse, Nick change d'avis et décide de collaborer. Toujours dans l'intérêt de ses filles.
Cette famille qui donne une des scènes les plus émouvantes et réussies du film, quand Nick obtient l'autorisation de voir ses filles. Victor Mature, acteur sous-estimé, se révèle vraiment un choix judicieux pour ce personnage, jouant merveilleusement sur les deux tableaux : à la fois le gros dur, le caïd, avec sa carrure impressionnante et son visage marqué, et l'homme bon, tombé dans le crime parce qu'il n'en avait pas vraiment le choix, et tout disposé à mener une vie de famille tout ce qu'il y a de plus normal et juste. Tour à tour inquiétant ou émouvant, il est formidable.
Face à lui, Richard Widmark tient le rôle qui le rendra célèbre, un des meilleurs de sa carrière, un des plus marquants. Il est Tommy Udo, tueur professionnel, personnage terrifiant car on sent qu'il aime tuer. Sûrement drogué, il semble avoir perdu tout sens moral pour s'enfoncer dans une vie où ne règne que la violence. La scène où il pousse dans l'escalier une femme handicapée est une des plus célèbres du film.
Udo est l'exact opposé de Nick : petit blond quand l'autre est grand et brun, il semble ne plus posséder la moindre once d'humanité. L'opposition s'accentue encore dans le traitement des femmes : Nick est amoureux et traite doucement son épouse, quand Tommy insulte sa maîtresse (oui, un tel homme ne se marie pas, il vit dans le péché), la rudoie et l'incite à disparaître.
Le coup de génie de Widmark, c'est son sourire. Un sourire inoubliable, carnassier, terrifiant à lui tout seul.
La réalisation d'Hathaway insiste sur le réalisme : prise de vues en décors naturels, réalisme du scénario et des personnages, le film est assez typique de la production de son époque. Il joue aussi beaucoup sur l'ambiguïté des personnages : finalement, ceux qui sont censés représenter la justice s'arrangent pour contourner celle-ci quand ça les favorise. A y regarder de plus près, les méthodes du procureur D'Angelo ne sont pas si éloignées de celles de l'avocat véreux..
Par un étrange retournement, c'est la prison qui apparaît comme le lieu le plus équitable, le plus juste, et le plus sécurisant. ça en dit long sur la morale de la société.
Le rythme est plutôt lent, ce qui est sûrement le principal défaut d'un film que j'ai trouvé parfois un peu répétitif. Mais c'est devenu au fil du temps un grand classique (ce qui est justifié, ne serait-ce que par l'exceptionnelle qualité de son interprétation), adapté par Barbet Schroeder avec Nicholas Cage, David Caruso et Samuel L. Jackson.

lundi 26 novembre 2012

Let Go

Revolver, le groupe frenchy qui fait de la pop anglaise au moins aussi bien que les ressortissants de la perfide Albion ! Voire même mieux que certains...
Je ne connaissais vraiment que de noms, mais les hasards d'une médiathèque décidément bien fournie ont mis sur mon chemin ce second album qui est une grande réussite. D'une grande unité mélodique sans jamais être répétitif, Let Go enchaîne les chansons et nous enchaînons les plaisirs. Les mélodies sont très bien foutues, entraînantes, donnent une irrésistible envie de sourire. Les voix s'accordent à merveille. En fait, tout fonctionne dans cet album.
Il n'y a peut-être aucun coup de génie qui ferait qu'une fois l'écoute terminée, on retiendrait une chanson plus que les autres. Non, c'est l'album complet qui reste dans notre mémoire comme un grand moment de détente. On sent les influences outre-Atlantique parfaitement assumées et digérées pour produire un disque qui n'est pas une imitation mais une création.
Et puis, comment ne pas aimer un album dont une chanson s'appelle Cassavetes ?

vendredi 23 novembre 2012

Little Odessa

Le début du film est fulgurant. D'abord on voit Joshua Shapiro (Tim Roth) qui abat un homme, puis il reçoit une nouvelle mission qui doit l'emmener à Little Odessa, quartier russe de Brooklyn. Il n'a pas envie d'y aller, mais il obéira quand même (ça, c'est l'intrigue criminelle, qui est secondaire dans le film). Ensuite, on voit Reuben (Edward Furlong) seul dans un cinéma (thème de la solitude). Il regarde un western où Burt Lancaster abat un homme (thème de la violence) et où un père se reproche d'avoir mal éduqué son fils (thème des responsabilités familiales, qui est central dans le film). Ensuite, Reuben rentre chez lui à travers les rues de Brooklyn (la ville est un personnage à part entière du film). Dans le modeste appartement familial, il est accueilli par une grand mère qui ne parle que russe (thème de l'incommunicabilité au sein de la famille), une mère malade et un père qui semble indifférent. Et au milieu de tout ça, un générique sans musique, aux titres tout simples (sobriété de la réalisation, qui ne se démentira pas de tout le film).
En dix minutes, tout est dit. Tout est joué. Comme dans une tragédie classique, le film ne fera que dérouler jusqu'à la fin une histoire prévisible, non pas par manque d'imagination du scénariste (qui est aussi le réalisateur, James Gray) mais par volonté de représenter des personnages prisonniers de leur destin. Prisonniers d'une sorte de prédestination sociale.
A ce titre, le scénario est formidablement construit, chaque scène est strictement nécessaire et parfaitement à sa place dans un enchaînement d'action d'une logique imparable. Il n'y a pas une image, pas une réplique que l'on pourrait enlever. On se croirait chez Racine ou chez Puccini, dans ces drames d'autant plus intenses qu'ils sont très courts, très condensés.
Souvent, on présente ce film comme un polar. "le premier grand film sur la mafia russe", dit la jaquette du DVD. C'est une erreur. Ceux qui regarderaient ce film en pensant voir un film mafieux ne pourront qu'être déçus. Nous avons ici un drame. Avec, au centre, le thème de la famille. Le bannissement d'une famille. La solitude au sein de la famille. L'incompréhension au sein de la famille. La responsabilité d'un père qui veut protéger sa famille.
Au détour d'une scène, on comprend que l'origine de tout pourrait se trouver dans cette famille. Cette famille déclassée. Une famille qui "s'en sortait bien" quand elle était en Russie, mais qui ne s'en sort plus maintenant. Immigrée, étrangère, coupée de ses traditions. Reuben est l'image de ce fossé qui s'est creusé. Il est américain, alors que sa grand mère est russe. Il ne parle plus la langue familiale. Il se sent étranger dans cette famille. Il ne s'y retrouve plus.
La qualité principale du film, c'est sa réalisation. James Gray ne cède pas aux facilités d'une telle histoire. Pas de violence gratuite. Pas même de fascination pour la violence, qui, quand on la voit, nous est montrée de façon sordide. Pas de musique tonitruante. Pas d'effets spectaculaires. Une photographie grise, froide, à l'image de cet hiver new-yorkais, mais aussi à l'image des relations familiales décrites ici. Pas de pathos, mais aussi pas vraiment de sympathie pour les personnages. Gray garde ses distances avec ce qu'il réalise, avec ce qu'il raconte.
La musique, les rares fois qu'elle intervient (souvent dans les scènes concernant la mère mourante, formidablement interprétée par Vanessa Redgrave), instaure une ambiance proche du mysticisme. Ambiance encore renforcée par certaines images symboliques, comme cette splendide pieta inversée, où le fils Joshua prend dans ses bras sa mère mourante. Les dieux sont présents, comme dans toute tragédie.
Les acteurs sont tous excellents. Tim Roth est à l'image du film : il fait une interprétation froide, distante, qui empêche toute sympathie avec son personnage. Maximilian Schell est excellent en père ambigu, à la fois détestable mais jamais condamnable, tant on comprend qu'il fait tout ce qu'il croit bon pour sauver son seul fils Reuben (l'autre fils, Joshua, étant banni).
Un très grand film, une première œuvre d'une intensité extraordinaire, qui préfigure à merveille un cinéma d'une grande unité, celui de James Gray, un des plus grands réalisateurs de la jeune génération, celui dont on sent qu'il sera capable, un jour, de réaliser le chef d’œuvre absolu, un peu comme Cimino avec la Porte du Paradis.

Patton

George C. Scott.
Rarement l'image d'un acteur restera aussi attachée à un rôle.
George C. Scott est Patton, et c'est l'attrait principal de ce film.
Alors, bien sûr, la réalisation est solidement menée, le scénario (co-écrit par Francis Ford Coppola) est subtil et intelligent, les autres interprètes tiennent bien leurs rôles (à commencer par Karl Malden, que je retrouve toujours avec plaisir). Jusqu'à la musique de Jerry Goldsmith, qui est excellente (et m'a un peu rappelé la partition composée par Elmer Bernstein pour La Grande Évasion, de Sturges). Le film multiplie les points forts. Mais le sommet reste George C. Scott.
Le film nous présente donc les faits et gestes du général Patton pendant la Seconde Guerre Mondiale, du Maroc aux Ardennes en passant par la Sicile. Et ce personnage capte tous les regards. Excentrique, parfois extrémiste, cultivé, imbu de sa personne, doté d'un égo surdimensionné, passionné par l'histoire au point de s'inspirer des guerres romaines pour sa stratégie, Patton apparaît vite comme un ennemi redoutable pour les Nazis. Et un allié tout aussi redoutable pour son propre camp.
Car le personnage est peu diplomate. Du coup, il froisse les Russes, agace Montgomery et parvient même à mettre en colère le chef suprême, Eisenhower.
L'invasion de la Sicile en est un grand exemple, ainsi qu'une des meilleures séquences du film. Son plan ayant été refusé par Eisenhower au profit de la stratégie de Montgomery, Patton va quand même faire ce qu'il veut, désobéir aux ordres (faisant semblant de ne pas les avoir reçus) qui lui intimaient de soutenir le général anglais et délivre Palerme seul. Et quand on lui ordonne de ne pas prendre Palerme, il répond : "Dois-je la rendre aux Nazis ?"
Constamment, cette personnalité est montrée comme un anachronisme, donc une énigme aux yeux des Nazis. De nombreuses scènes nous montrent le QG de Jodl (chef d'état major de l'armée allemande), où les officiers du renseignement essaient de décortiquer la psychologie du général américain pour prévoir ses coups. Mais rien n'y fait. "Patton est un romantique des temps modernes. Son secret, c'est le passé."
Le problème, c'est qu'il est presque aussi dangereux pour les siens. Une scène nous le montre visitant un hôpital de campagne. Il est affable, agréable, encourageant, aimant avec les soldats blessés au front. Mais dès qu'il rencontre un dépressif, un jeune homme dont les nerfs ont lâché suite aux énormes risques encourus, Patton voit rouge, tabasse le soldat et interdit strictement qu'il soit hospitalisé.
L'un des grands avantages du film est d'éviter l'hagiographie. Patton n'est pas un saint. Grand stratège, génie militaire, il est également brutal, injustement violent (il fait abattre les deux mules d'un pauvre paysan parce qu'elles bloquaient la route) et aveuglé par son ambition. Lancé dans une querelle d'égos avec Montgomery, Patton va faire une véritable course à travers la Sicile pour délivrer Messine, sans tenir compte un seul instant de la faiblesse de ses troupes.
Et puis surtout, Patton aime la guerre. C'est le reproche principal que lui fait Bradley (Karl Malden) : pour lui, la guerre est une passion. Un des officiers nazis affirme que si la guerre s'achève, cela tuera inévitablement le général (ce qui est vraiment le cas : il mourra en décembre 1945, mais le film ne le montre pas).
Mais avec lui s'achève une certaine conception de la guerre. Patton est le dernier de sa catégorie. Un général exigent, fier, difficile, mais qui a redressé le moral de ses troupes et les a rendues fières de combattre.
Le film est divisé en trois parties : d'abord les conflits en Afrique du Nord et en Sicile, puis une période où le général sera mis sur la touche à cause de ses excentricités trop peu politiquement correctes, et enfin la bataille des Ardennes. La seconde partie est forcément plus lente, plus calme, mais permet d'approfondir encore le personnage. Un personnage à la Alexandre Dumas, querelleur, parfois outrancier, mais aussi un cador dans son domaine. Bien souvent, à travers sa sévérité, voire même son intransigeance, on devine son amour pour ses hommes.
Pas de problèmes de rythme, une mise en scène solide (Schaffner, le réalisateur de La Planète des singes, connait très bien son métier).
Un très bon film, à mi-chemin entre le biopic et le film de guerre (les deux genres que j'aime le moins), sans vraiment faire partie d'aucun genre en particulier. Et des oscars parfaitement mérités, entre autres pour George C. Scott, qui tient là le rôle de sa vie.

Fritz Lang interrogé par William Friedkin

Fritz Lang interrogé par William Friedkin. Le premier avait abandonné sa carrière depuis presque 15 ans, perdant progressivement la vue. Le second venait de sortir L'exorciste et French Connection. Voilà qui ne peut être qu'alléchant.
J'avoue d'emblée une petite déception quand même. Lang parle de sa vie, de ses débuts, mais finalement relativement peu de cinéma.
Mais quand même, il y a de grands moments. Quand Lang explique sa rencontre avec Goebbels. Ou quand il parle de la réalisation de M. le Maudit, expliquant comment, pour la scène du jugement du criminel (à la fin), il avait choisi de véritables membres de la pègre allemande.
On voit aussi, au détour de quelques répliques cinglantes, à quel point le réalisateur avait un caractère bien trempé. Il renvoie plusieurs fois Friedkin dans les cordes. Il avait encore de l'énergie, le maître.
Hélas, on ne peut vraiment qu'être déçu par les absences du film : rien sur sa carrière américaine, par exemple. Ni sur son retour en Allemagne, avec Le Tigre du Bengale, par exemple. Encore moins sur sa participation au Mépris, de Godard.
Mais, en échange, on apprend beaucoup sur sa jeunesse et comment il devint cinéaste. Et on boit ses paroles, même avec un arrière-goût de déception.

Ce documentaire a été vu comme bonus sur le dvd de House by the river

mardi 20 novembre 2012

Skyfall

Attention, cette critique comporte des spoils.
Accusée d'avoir affaibli la sécurité nationale, M. passe devant une commission dirigée par sa ministre. Celle-ci lui répète que le MI6 est dépassé, obsolète, qu'il n'est plus en conformité avec les problèmes du monde actuel. Cette accusation avait été faite à la série des James Bond depuis plusieurs années. Beaucoup de critiques (professionnels ou amateurs) pensaient que la série n'avait plus lieu d'être. Les films restaient, selon eux, basés sur un monde bipolaire Est-Ouest qui n'existait plus. 007 était dépassé, ringardisé par des héros comme Jason Bourne, par exemple.
Pierce Brosnan avait déjà répondu partiellement à cette critique. Mais depuis l'arrivée de Daniel Craig, Bond a complètement changé de visage. Le héros infaillible est devenu un homme, avec ses faiblesses et ses défauts.
Un homme mortel. C'est d'ailleurs ce qui occupe la première partie du film. Après une vertigineuse séquence d'ouverture en Turquie, les services secrets britanniques connaissent une double défaite : la mort de 007 et la mise en danger de tous les agents infiltrés au monde. M. est ridiculisée. L'invraisemblable est devenu possible.
Je ne dévoilerais aucun secret d'état en affirmant que, bien sûr, James Bond n'est pas mort. Mais envisager une telle éventualité, voir M. écrire la notice nécrologique de l'agent, c'est presque un tabou qui tombe.
D'autant plus que, si Bond n'est pas mort physiquement, il est quand même grandement affaibli, tant au physique qu'au moral. Au moral parce qu'il hésite à reprendre du service. Finalement, il est plutôt tranquille sur sa plage à se saouler la tronche. Et au physique aussi car il ne semble plus capable de grand chose. Ses tests d'aptitude reviennent négatifs : Bond n'est plus apte au service. Sa main tremble, il ne peut plus viser, il est vite essoufflé, etc.
Cette première partie est donc aussi formidable qu'inédite. L'agent et sa patronne sont presque virés du MI6. La sécurité mondiale est en danger à cause de l'agent britannique. Et un attentat touche le bureau de M.
Vient ensuite une seconde partie plus classique : enquête en Chine à la poursuite d'un tueur professionnel, puis rencontre de Séverine, qui entraîne Bond sur une petite île déserte et en ruine.
Et c'est là qu'apparaît notre méchant. Il arrive relativement tard dans le film, il reste longtemps un mystère, mais il va occuper l'écran pendant quasiment tout le reste de Skyfall. Et c'est très bien.
Là où Silva est un méchant particulièrement dangereux, c'est qu'il représente l'envers de Bond. La part sombre de l'agent. Depuis l'excellent Casino Royale, on comprend que Bond est constamment au bord de l'illégalité, qu'il est toujours tenté par la violence pure, par le non-respect des ordres mais aussi de la morale. Un agent borderline.
Et Silva, c'est ce que deviendrait Bond s'il cédait à sa violence naturelle. Silva est un taré, mais il ne cherche, finalement, qu'à rétablir une justice selon ses propres règles, sans se référer à personne. Ancien agent du MI6, il est ce qui menace constamment Bond, la face sombre de 007.
La parallélisme entre les deux personnages est encore accentué par leur rapport à M. Même si c'est présenté sans grande finesse, cette relation mère-fils est très bien vue. Silva appelle constamment M. Maman. Et, au-delà de la simple vengeance, sa volonté de "tuer la mère" est sûrement très proche de ses attirances homosexuelles (incroyable scène où il caresse Bond).
Le nouveau James Bond est donc un film dense, une grande réussite, occupant une place un peu à part dans la série. La réalisation réserve quelques très belles scènes, comme ce combat en ombres chinoises ou l'impressionnante montée de tension quand Silva se dirige vers le tribunal.
Mais l'idée de génie reste le final, dans la vieille demeure familiale des Bond, dans le paysage désolé, magnifique et inquiétant des Highlands.
Car si on veut faire de Bond un humain, loin des super-héros, il lui faut un passé. Et Skyfall est l'épisode où Bond replonge dans son enfance.
Craig est excellent. Judi Dench est excellente. Javier Bardem est inoubliable. Par contre, je reste plutôt déçu par la James Bond Girl française, loin de tenir ses promesses (il faut avouer, à sa décharge, qu'elle n'a que trois scènes).
Autour de Bond, une nouvelle équipe se forme. Saluons l'arrivée de Naomie Harris, Ralph Fiennes (qui réussit à être séduisant avec des bretelles : faut le faire) et surtout Ben Whishaw, qui interprète un Q tout en humour, symbole de cette nouvelle génération et de la volonté de donner de nouvelles bases à la série.
Même la chanson, signée Adele, et le générique sont des réussites. C'est dire à quel point Skyfall, malgré quelques petits temps morts, est un épisode incontournable de la série.

lundi 19 novembre 2012

Open Range

Il a dû falloir une certaine dose de courage à Costner pour imposer un tel film à Hollywood. En effet, de puis une trentaine d'années, les westerns ne sont plus en odeur de sainteté dans le cinéma américain. Ou alors, si on produit, c'est pour s'affranchir des règles traditionnelles du genre. Western à la limite du surnaturel avec Pale Rider. Mort du western avec Impitoyable. Western contemplatif avec L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Autant de très bons films, voire de chefs d’œuvre, mais aucun western classique.
Eh ben Costner, lui, il fait un western classique, traditionnel.
Le début nous montre quatre cowboys conduisant leur troupeaux dans les grandes prairies. Et c'est, de très loin, ce que j'ai préféré dans le film. Les paysages sont sublimes et le cinéaste insiste sur une description réaliste de la vie des cowboys. Loin des images d'Epinal auxquelles nous sommes habitués, il nous montre à quelle point c'est une vie difficile, un travail rude, ardu, épuisant. Mais qui a ses bons côtés, entre autres cette liberté absolue qui tient tant au cœur des Américains. C'est beau, c'est poétique, c'est une sorte de lyrisme du quotidien.
Puis vient le conflit. C'était inévitable. On ne pouvait pas faire un film de 2h20 avec quatre gaillards dans les prairies. Il fallait autre chose. Et c'est là que ça se gâte un peu.
Le conflit est très classique. Il oppose les cowboys itinérants (nos quatre héros) et un grand propriétaire. On tombe assez vite dans la caricature : le riche éleveur qui fait peur à tous ceux qu'il ne peut pas corrompre. Le marshall pourri et violent qui fait respecter une version toute personnelle des lois.
Il faut bien avouer que Costner est moins à l'aise pour filmer les scènes tendues que pour les grands paysages. Il ne réussit pas vraiment à créer une ambiance violente, nerveuse. De plus, cette partie est plus prévisible.
Mais finalement, ce n'est pas si grave que ça, tant cet aspect m'a presque paru secondaire.
L'important est ailleurs. Open Range est un film de personnages. Depuis le début, Costner parvient à nous intéresser à des hommes bourrus, taiseux, qui ont choisi ce métier pour fuir quelque chose et qui restent souvent plongés dans leur mutisme.
Cette situation dangereuse va pousser ces hommes à se dévoiler, à s'ouvrir les uns aux autres. Et ces scènes de confessions sont parmi les plus belles du film, les plus émouvantes en tout cas. Le cinéaste est aidé en cela par l'interprétation, en particulier Robert Duval, dont le charisme et le talent font de l'ombre aux autres acteurs.
Au final, un bon film, qu'il est préférable de voir sur grand écran pour profiter pleinement des splendides paysages.

mardi 9 octobre 2012

Voici quelques extraits du très bon livre de Jean-Claude Guillebaud, La Trahison des Lumières, paru en 1995.

" [L'idéologie] est une certitude renfermée sur elle-même et ne peut concevoir une vérité qui lui serait extérieure. C'est une weltanschauung, une vision globale et exclusive. Elle ne se pense pas comme une "interprétation" relative et falsifiable, mais comme un absolu venu mettre un terme à l'errance de la pensée. Toute idéologie se croit dévoilement ultime, élucidation dernière de ce que le mensonge, l'intérêt de classe, la ruse des puissants, l'ignorance et la violence de l'Histoire tenaient préalablement caché. L'idéologie totalitaire se définit et se proclame comme révélation. C'est l'essence même de son mensonge et son arrogance : l'aveuglement sur sa propre nature." (pages 37 et 38)

On voit comment cette définition s'applique de nos jours, surtout dans le champ politique. Combien de politiciens présentent des idées comme étant des faits indiscutables alors que ce ne sont que des théories. "Tout le monde le sait", "les études sont unanimes", "tous les autres pays le font"... Autant de mensonges et d'auto-aveuglement.

Plus loin, Guillebaud cite le philosophe américain Michael Walzer :
"Les crimes de la gauche tout au long de ce siècle ont beaucoup à voir avec l'arrogance intellectuelle. Les crimes de la droite, eux, ont une origine plus matérialiste : dans la cupidité individuelle et l'égoïsme collectif." (page 210)

Enfin, dans un excellent dernier chapitre consacré aux médias :
"Le temps des médias est celui de l'immédiateté, du consommable dans l'instant, de l'effusion : il répugne à l'ennuyeux détour de la circonspection, à l'examen pointilleux des possibles. Aux chipotages de l'intelligence, il préfère la simplicité du consensus moyen. La morale du médiatique, comme celle du western, est celle du blanc et du noir. Elle n'admet que l'affrontement hollywoodien d'un bon et d'un méchant. Se trouve ainsi évacué tout ce qui introduirait de la nuance, de la complexité, c'est-à-dire, en dernier ressort, du réel." (page 228)

"L'impérialisme du marché sur l'information n'entraîne pas seulement une rétrogradation de celle-ci au rang de pure marchandise, la victoire sans appel du divertissement sur l'information et du consommateur sur le citoyen. Il aboutit, de façon plus pernicieuse, à une révision du concept même de vérité. Le marché ne retient et ne recycle que les "vérités" vendables. Il ne s'intéresse qu'aux "révélations" pour lesquelles ils subodore l'existence d'un public. Les autres, toutes les autres, sont renvoyées au néant. "Ce qui n'est pas montré sur TF1 n'existe pas", lâcha un jour, avec aplomb et réalisme, Etienne Mougeotte, directeur adjoint de la chaîne. L'affirmation était objectivement comique. Elle est, hélas, à prendre au pied de la lettre. Le marché ivre de lui-même anéantit, au sens propre du terme, toute réalité qu'il n'est pas susceptible de vendre." (pages 238-239)

jeudi 6 septembre 2012

La Fabrique du Crétin (fin)

"C'est que vers la fin des années 70, après les deux chocs pétroliers, après l'explosion du chômage, un système pervers s'est mis en place, où le nom, les relations, le réseau, comptent lus que le talent. Et l'école, sous prétexte  de "démocratisation", a mis en place un système parallèle qui a bloqué l'ascenseur social. Les élèves que l'on pousse au Bac ne font que "monter plus haut dans l'échelle des illusions", comme disait Vallès. Lorsque l'école n'apprend plus rien, les inégalités sociales se perpétuent tranquillement - ce qui fait l'affaire de cette poignée de privilégiés de toutes farines qui bloquent le renouvellement." (page 197)

"L'école, en destituant le savoir, en laissant les problèmes de la cité envahir le sanctuaire, sous prétexte de s'ouvrir au monde, en "respectant" toutes les opinions, comme si elles étaient toutes respectables, en dévalorisant le travail, en bannissant l'autorité, a condamné à la rue tous ceux qui en viennent." (page 199)

Fabrique du Crétin (2)

Le Bac ?
"Il faut enfin dévoiler aux parents le secret le plus mal gardé de l’Éducation Nationale : si l'on mettait aux élèves de terminale les notes effectivement portées sur les copies, le taux de réussite ne dépasserait pas 50%. Et si on laissait les correcteurs libres de sanctionner en leur âme et conscience, il tomberait probablement à 20% - ce qu'il était dans les années 60" (page 128)

Les notes ?
"Aujourd'hui, une mauvaise note doit impérativement être compensée par une bonne note, obtenue par un exercice plus facile que le précédent. Croyez-vous que les élèves soient dupes ? Croyez-vous qu'ils ne sachent pas qu'on ne les note pas à leur valeur - qu'on achète leur silence, en quelque sorte ? Un conseil de classe est un exercice trimestriel qui vise à entériner le pré-formatage de l'administration : tant d'élèves à tel niveau, et tant dans telle section. On ne fera pas redoubler celui-ci, parce qu'il pratique une langue rare, et que son absence au niveau supérieur désorganiserait le service. Celui-là a déjà redoublé, et c'est, paraît-il, pour cette raison qu'il s'acharne à ne rien faire : qu'il passe !" (page 129)

A-t-on besoin de culture ?
"Un peuple sans philosophie absorbera tous les prêts-à-penser que le marché voudra leur faire avaler. Répudiez Socrate et Spinoza, il vous restera toujours Ron Hubbard (...).
Les peuples qui aujourd'hui ont les systèmes éducatifs les plus performants, en particulier en Asie, sont accrochés bec et ongles à leur culture? Est-ce un hasard ? Ils sont entrés bien avant nous dans le IIIème millénaire, une main sur le clavier, l'autre sur le sabre du samouraï ou le pinceau à calligraphier." (page 151)

L'histoire ?
"Peu avant [la révolution] de 1848, [Edgar Quinet] fut suspendu de cours au Collège de France, en même temps que Michelet : les régimes moribonds s'en prennent volontiers aux historiens - aux enseignants de façon générale. Le capitalisme n'est pas le grand vainqueur qu'il prétend être : il en est à avoir peur de la mémoire. En tout cas, il cherche par tous les moyens à l'abolir. On n'interdit plus aux historiens d'exercer : on supprime leur enseignement" (page 152)

La fabrique du Crétin

Voici quelques extraits du très bon livre de Jean-Paul Brighelli, La Fabrique du Crétin, paru en 2005.

Au lieu d'un lieu de savoir, on a voulu faire de l'école "un lieu de vie", où les élèves se sentiraient bien, où ils pourraient se retrouver entre eux, s'amuser (mais où, bien entendu, ils n'auraient pas à travailler).
"Lieu de vie... Quelle vie le pédagogisme leur prépare-t-il, à ces adolescents avachis, neurones en panne, sans appétence ni compétence, victimes du système, déjà fatigués d'être avant d'avoir été, et que l'école, au lieu de les élever au sens le plus noble et le plus strict du mot, entretient dans leur marasme en refusant de leur donner matière(s) à réfléchir ? laissés aux portes de la pensée, trahis par l'institution, sans désir ni révolte, ils seront les braves petits soldats du libéralisme triomphant et de la social-démocratie molle, pain béni pour les confédérations patronales et les partis qui les soutiennent, à droite comme à gauche." (page 51)

Le collège unique, pour donner sa chance à tous les élèves ? Poudre aux yeux, voire même mensonge évident :
"Aux défis que posait la mixité sociale, le "collège unique" imposé par la réforme Haby (1975) n'a trouvé que deux solutions. Soit, dans quelques établissements triés sur le volet, et protégés par une carte scolaire aussi ingénieuse qu'une carte électorale, l'absence de mixité sociale. Le succès du quatuor infernal Henri IV/Louis-le-Grand/Fénelon/Saint-Louis, ce n'est pas à des enseignants plus aptes que les autres que nous le devons, mais aux prix de l'immobilier entre les Vème et VIème arrondissements de Paris.
C'est sans doute ce que l'on appelle la lutte contre les inégalités.
Soit, ailleurs, le grand ailleurs des campagnes et des banlieues abandonnées, la baisse générale des exigences. mettons-nous au niveau de ces "nouvelles populations"? Ce faisant, on enclenche une spirale négative, où la baisse des exigences entraîne non une hausse, mais une baisse des résultats, et, en corollaire, une désaffection des jeunes pour cette école qui, à force de leur parler leur langue, ne leur apprend plus rien." (pages 78 et 79).

jeudi 23 février 2012

La Nuit de Cristal

C'est le nom donné par les Nazis eux-mêmes à la nuit du 9 au 10 novembre 1938, où eut lieu une vague de violence contre les Juifs.
Le prétexte de cette violence se trouve deux jours plus tôt. Le 7 novembre, à Paris, un Juif polonais, Herschel Grynszpan, tire sur le premier secrétaire de l'ambassade d'Allemagne en France pour protester contre l'expulsion de ses parents.
Le 9 novembre, les dirigeants du Parti National-Socialiste se réunissent à Munich pour célébrer l'anniversaire du putsch de 1923. Hitler cherchait une excuse pour expulser les Juifs hors de Reich. Il voulait créer un état sans Juif, et le moyen utilisé à cette époque (avant la Solution Finale) était de leur faire peur pour qu'ils fuient à l'étranger. Les méthodes utilisées jusqu'à présent (les lois de Nuremberg) n'avait pas suffisamment rempli cet objectif. Sur les 525 000 Juifs présents en Allemagne en 1933, seuls environ 130 000 étaient partis.
Lorsque Hitler apprend la mort du secrétaire de l'ambassade, il donne à Goebbels la permission d'exploiter l'événement. San,s le dire clairement, Goebbels lâche la bride à la violence. Des SS, quelques SA et des membres des Jeunesses Hitlériennes attaquent des magasins Juifs, brûlent des lieux de culte, etc. Ils sont habillés en civils, pour se faire passer pour des "Allemands ordinaires".
La population civile ne va pas réagir. Pour certains, c'est par peur. Pour d'autres, par adhésion aux idées nazies (mais pas forcément aux méthodes employées). Au total, il y aura une centaine de morts lors de la nuit elle-même (parfois, ce sont des suicides). mais 30 000 hommes seront emprionnés et envoyés aux camps.
L'élite intellectuelle, dans l'ensemble, ne va pas réagir. Quant aux pays étrangers, ils vont dénoncer la brutalité et l'horreur de cette nuit. Sauf la France, qui essayait alors de négocier un traîté avec le Reich et ne voulait pas le contrarier. Par contre, lorsque les Juifs quitteront massivement le Reich, ils ne seront pas accueillis dans les pays avoisinnants (ou alors, en nombre limité). En 1939, au moment du déclenchement de la guerre, il restera encore 200 000 Juifs en Allemagne.

lundi 6 février 2012

L'écologie et les villes





J'ai lu récemment un article qui va à l'encontre des idées reçues (des miennes en tout cas). L'existence de villes ayant une grande densité de population est une très bonne chose pour l'environnement.





Paradoxe ? On a tous en tête l'image de villes polluées, des embouteillages et des arbres maladifs.





L'auteur commence en affirmant que si tous les habitants des villes se répandaient dans les campagnes, il n'y aurait plus de terre arables sur la planète.





De plus, les emplois sont majoritairement dans les villes. Si les hommes habitent ces mêmes villes, cela réduit considérablement les trajets (s'ils vivent à la campagne, les parcours seront plus longs, donc consommeront plus d'énergie). Si, en plus, on compte sur l'existence d'un bon réseau de transports en commun, ça fera encore baisser les émissions.





Le chauffage d'un appartement nécessitera moins d'énergie également que celui d'une maison (d'autant plus qu'il fait toujours plus froid en rase campagne qu'en centre-ville).










L'auteur prend l'exemple de Séoul, mais nous précise bien que peu de villes sont aussi exemplaires. Les indications sont théoriques, mais dans la pratique, cela pose quelques problèmes.





D'abord, le développement des villes est toujours anarchiques. Donc, on peut rarement compter sur un schéma cohérent de voies de communication et sur un réseau dense de transports en commun.





Ensuite, les villes occidentales ont tendance, depuis quelques temps, à voir leur densité de population baisser. Les gens, les familles en particulier, veulent repartir vers des zones semi-urbaines, des banlieues résidentielles. On y retrouve des villas (donc plus de chauffage), les trajets sont rallongés et, là encore, il y a trop peu de transports en commun.





Certaines municipalités états-uniennes réfléchissent pour favoriser un retour des familles vers les centre-villes, largement désertés. Mais il ne faut pas oublier que les villes sont marquées par un manque de place et une hausse constante des prix.

mardi 31 janvier 2012

Hastings



En 1051, le roi d'Angleterre, Edouard "le confesseur", pour contecarrer l'influence grandissante de Godwin, son beau-père, promet que le royaume ira au duc de Normandie. Lui-même avait été élevé en Normandie et en gardait une bonne image.
Mais, sur son lit de mort, en janvier 1066, Edouard renie sa promesse et désigne Harold, le fils de Godwin, comme successeur. Les nobles anglais se rallie à Harold.
Guillaume de Normandie reçoit alors le soutien du pape Alexandre II. Il parvient à convaincre les nobles normands, d'abord réticents. Il monte ainsi une armée et s'installe à Dives, à l'abri de la flotte anglaise. Il prépare alors sa flotte. Une excellente organisation règne dans ses troupes : pas d'épidémie, pas de pillages dans la campagne environnante.
Le 8 septembre 1066, Harold rapatrie sa flotte, qui manque de ravitallement. Guillaume en profite : le 12, il part pour Saint-Valéry-sur-Somme puis, le 28, il se lance à l'assaut de l'Angleterre. Il débarque à Pevensey et va jusqu'à Hastings, où il multiplie les provocations pour attirer Harold.
Peu auparavant, le 18 septembre, un autre prétendant au trône, Harald de Norvège débarque dans le Nord de l'Angleterre. Harold se lance à sa poursuite, le rattrappe et le bat vers York le 25. Il va ensuite descendre le plus vite possible pour tenter d'avoir Guillaume par surprise.
Le 14 octobre, c'est la bataille d'Hastings, une des plus longues du Moyen-Age (6 ou 7 heures). Harold la commence en position de force, sur une colline. L'objectif de Guillaume est de l'en déloger. Si Harold reste sur cette hauteur jusqu'à la nuit, alors Guillaume est perdu.
Ce n'est qu'en fin d'après-midi que Guillaume va réussir à enfoncer les lignes anglaises, après avoir usé plusieurs tactiques, dont celle de la "fuite simulée" (faire semblant de s'enfuir pour se faire poursuivre par une partie des troupes, puis faire demi-tour pour les attaquer ; cela permet de diviser les troupes ennemies, donc de les affaiblir, et de les prendre par surprise). Ce sont les archers qui feront la différence : un groupe d'archers tire de loin, les Anglais lèvent leurs boucliers pour se protéger et le second groupe d'archers tire alors à bout portant, à l'horizontale et de très près.
Harold est tué. La victoire de Guillaume est sans appel.

mercredi 25 janvier 2012

Les Etrusques et Rome





L'histoire officielle (et semi-légendaire) retient que Rome a été dirigée par trois rois étrusques, ce peuple qui dominait l'équivalent de l'actuelle Toscane entre le VIIIème et le VIème siècles.





Le premier, Tarquin l'Ancien, tirant son nom de la ville de Tarquinia, serait venu à Rome car, chez lui, il ne pouvait accéder aux responsabilités (il était d'origine étrangère, son père venant de Corinthe). Il conquiert Rome et y installe son pouvoir.





Servius Tullius, quant à lui, aurait été un mercenaire (de son nom étrusque : Macstarna) qui renverse Tarquin pour prendre sa place. Il sera assassiné à son tour par Tarquin le Superbe.





Pourquoi une telle influence étrusque ? Ce peuple était très avancé sur les Romains sur le plan militaire. Civilisation constituée de cités-états, ils avaient établi des relations commerciales avec les Grecs. Ils avaient ainsi observé l'organisation des phalanges et l'avaient rapportée en Italie. Cette prédominance militaire n'a pas été mise au service d'un impérialisme agressif, comme ce sera le cas plus tard avec Rome. Mais les Etrusques apparaissaient comme des fins connaisseurs militaires et c'est sûrement à ce titre qu'ils étaient invités dans une Rome naissante, qui n'était encore qu'un village.





Car c'est sous les rois étrusques que Rome deviendra une cité, se dotant, entre autres, du Cloaca Maxima (les égouts, réalisation très rare dans les villes de cette époque) et du Circus Maximus. Le temple du Capitole (pour la triade capitoline : Jupiter, Junon, Minerve) est de style étrusque. La fondation légendaire même de la ville, à l'aide d'un sillon qui en délimite les frontières, est typiquement étrusque.





La Etrusques étaient aussi réputés pour leurs haruspices. L'art de la prédiction était une spécialité étrusque. Les haruspices de ce peuple étaient consultés à Rome avant chaque grande décision.





Bien entendu, ça ne veut pas dire que Rome devait tout aux Etrusques. Si les Romains se sont inspirés de leurs voisins, ils ont "romanisé" ces apports. La langue latine est complètement différente de la mystérieuse (et encore, en grande partie, incompréhensible) langue étrusque. Les dieux Romains existaient avant l'arrivée des rois étrusques.

samedi 21 janvier 2012

Le métier de prof

Selon le décret qui régit le rôle des enseignants, un professeur doit apporter aux élèves un enseignement dans la matière dans laquelle il a été engagé, pour une durée de 18 heures pour les certifiés (ceux qui ont réussi le CAPES) et 15 heures pour les agrégés (ceux qui ont obtenu l'Agrégation). Le but est d'instruire les élèves et de les aider à construire un raisonnement, à utiliser leur savoir pour réfléchir correctement. A celà on peut ajouter : apprendre à travailler.

Depuis quelques années, on assiste à une transformation radicale de la pratique de notre métier. On doit, de plus en plus, faire d'autres choses. La part de cours se réduit constamment. Un professeur d'histoire-géographie doit également s'occuper de... la Sécurité Routière ! On nous demande d'organiser des sorties scolaires (même si ça n'a pas grand'chose à voir avec une quelconque matière). Ce qui est admis dans les "activités pédagogiques" s'élargit de plus en plus. Dans un discours du 05 janvier 2012, le président Sarkozy nous a assigné également la charge de l'orientation (bien pratique : ça permet de se débarrasser des Conseillers d'Orientation ; mais aucun prof n'a été formé à l'orientation, qui est un rôle extrêmement complexe).

Un professeur, maintenant, n'est plus forcément celui qui apporte des connaissances.
C'est un animateur.

Nos inspecteurs nous l'ont bien dit, depuis des années : "ce qui compte, c'est l'habillage, pas le contenu".
Nous ne devons plus apporter de connaissances par nous-mêmes : ce sont les élèves qui doivent les trouver tous seuls : "ce n'est plus la peine de faire des leçons de grammaire ou de conjugaison, ça ennuie les élèves et c'est inutile. Faites-leurs lire des textes, et ils découvriront par eux-mêmes toutes les règles nécessaires".
Pas la peine de préciser l'aberration de tels propos.

Maintenant, une question se pose, de plus en plus insistante : à quoi doit servir un prof ? A apporter des connsaissances, des savoirs et des savoir-faire ? Ou à garder des élèves toute la journée dans l'établissement en leur proposant diverses animations pour leur passer le temps ?

mardi 3 janvier 2012

L'assassinat d'Henri IV

14 mai 1610, vers 16 heures 15 : assassinat du roi Henri IV, rue de la Ferronnerie. François Ravaillac donne trois coups de couteau, mais seuls deux touchent le roi. Ravaillac ne s'enfuit pas et se laisse prendre. Il est âgé de 32 ans et prétendra avoir agi de sa propre initiative. C'est un fou de Dieu, fanatique catholique sujet de visions hallucinatoires et convaincu d'avoir une mission divine. Il en voulait au roi qui refusait de faire la guerre aux nations réformées.
Après plusieurs jours de tortures, il sera exécuté le 27 mai 1610, selon un rituel destiné à décourager les futurs régicides : supplice des tenailles aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes; supplice de la poix (on lui jette de l'huille bouillante, du plomb fondu, de la poix-résine brûlante et de la cire et soufre fondus ensemble); enfin, il est écartelé par quatre chevaux et son corps démembré sera brûlé.
Il faut dire qu'à l'époque, les régicides étaient fréquents. La philosophie politique autorisait même le recours à l'assassinat pour se débarrasser d'un tyran, qu'il soit "tyran d'usurpation" (qui a pris la place d'un roi légitime) ou "tyran d'exercice" (chef d'état légitime dont le comportement dépassait les bornes). C'est ainsi qu'avaient déjà été assassinés Henri III en France (1589) ou Guillaume d'Orange "Le Taciturne", au Pays-Bas (1584).
Cet assassinat va relancer la peur de la guerre de religions en France. La nouvelle va circuler très vite, mais les villes ne vont pas forcément l'annoncer tout de suite à leurs habitants. Partout on renforce les garnisons, on prépare les armes et les canons. On s'attend à des conflits, qui seront finalement rares et sans grande gravité.
Après s'être séparé de Marguerite de Valois, qui ne lui avait pas donné d'enfants, Henri IV s'était remarié à Marie de Médicis en 1600. Le futur Louis XIII nait le 27 septembre 1601. C'est donc un enfant à la mort de son père : le lendemain, 15 mai 1610, il annonce la régence de sa mère. Marie de Médicis va surtout chercher la continuité, en conservant l'essentiel des ministres (Sully aux finances).
La régence prend officiellement fin en octobre 1614 (la majorité royale est à 13 ans). Mais Marie de Médicis garde une grande influence. En 1616, elle remodèle tout le gouvernement, le plaçant sous la férule d'un aventurier italien, Concici (avec Richelieu aux Affaires étrangères). Elle écrase la révolte du prince de Condé en juin 1616. Le pays est au bord de la guerre civile. Louis XIII reprend la main, fait assassiner Concini (24 avril 1617) et exile sa mère à Blois (2 mai 1617).