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"Ce n'est que lorsque l'homme sera parvenu au terme de la connaissance de toutes choses qu'il pourra se connaître lui-même. Car les choses ne sont que les frontières de l'homme." F. Nietzsche

jeudi 23 septembre 2010

Artistes

Pour bien connaître une culture, il faut fréquenter ses artistes de deuxième classe. Je ne sais plus vraiment qui a dit cela, mais c'est particulièrement vrai. Quelqu'un qui n'a lu que Dostoievski, Tolstoï et les grands classiques russes ne connaît pas la Russie. Pourquoi ?

Parce que notre conception du grand artiste est basée sur l'idée de rupture. De nos jours, pour nous, Occidentaux, le grand artiste est celui qui ne respecte pas les règles normales (dans tous les sens de l'adjectif), qui échappe aux habitudes culturelles pour créer son propre univers, ses propres règles et (bien souvent) son propre langage (voir Rimbaud ou Queneau). Ainsi donc, Robbe-Grillet, Proust, Céline ou d'autres ont créé un monde qui leur est unique. C'est même à cela que l'on reconnaît l'œuvre d'un artiste : un monde qui lui est totalement personnel et qu'il complète au fil des textes, films ou compositions.
Baudelaire avait introduit en poésie des thèmes qui étaient alors interdits. Rimbaud avait créé un nouveau langage et la poésie devenait une quête de la vérité (même monstrueuse) et de la liberté (même insupportable). Les textes de Zola ou de Balzac nous emportent dans un monde cohérent où tout est signifiant, où les noms et la description des personnages nous informent sur leur psychologie etc.

Cet intérêt pour les artistes en rupture est récent et culturel. Au Moyen-Age, bien au contraire, la norme était dans la disparition de l'artiste au profit de l'œuvre. Il fallait imiter, pas innover. Si tant d'œuvres médiévales sont anonymes, ce n'est pas parce que l'on a perdu le nom de leurs auteurs, mais bien parce qu'on ne l'a jamais su. Ils se sont cachés, effacés.

Barthes a bien compris cette importance des auteurs de seconde zone (auteurs de polars ou de romans à l'eau de rose, que l'on qualifie généralement de "romans de gare"). Par exemple, le livre Poétique du Récit (édition Seuil) réunit quatre contributions théoriques sur l'analyse des récits. Trois des auteurs nous parlent de Joyce, Balzac, Henry James ou d'autres classiques. Barthes ne mentionne presque que James Bond de Ian Fleming (en particulier Goldfinger). Peut-être y-a-t'il plus de leçons à tirer dans cette littérature que dans l'autre. Peut-être par refus d'une hiérarchisation. Sûrement aussi pour nous rappeler que l'essentiel des œuvres écrites ne sont pas des futurs grands classiques mais de simples divertissements (ce qui est déjà beaucoup).