Citation

"Ce n'est que lorsque l'homme sera parvenu au terme de la connaissance de toutes choses qu'il pourra se connaître lui-même. Car les choses ne sont que les frontières de l'homme." F. Nietzsche

mardi 9 octobre 2012

Voici quelques extraits du très bon livre de Jean-Claude Guillebaud, La Trahison des Lumières, paru en 1995.

" [L'idéologie] est une certitude renfermée sur elle-même et ne peut concevoir une vérité qui lui serait extérieure. C'est une weltanschauung, une vision globale et exclusive. Elle ne se pense pas comme une "interprétation" relative et falsifiable, mais comme un absolu venu mettre un terme à l'errance de la pensée. Toute idéologie se croit dévoilement ultime, élucidation dernière de ce que le mensonge, l'intérêt de classe, la ruse des puissants, l'ignorance et la violence de l'Histoire tenaient préalablement caché. L'idéologie totalitaire se définit et se proclame comme révélation. C'est l'essence même de son mensonge et son arrogance : l'aveuglement sur sa propre nature." (pages 37 et 38)

On voit comment cette définition s'applique de nos jours, surtout dans le champ politique. Combien de politiciens présentent des idées comme étant des faits indiscutables alors que ce ne sont que des théories. "Tout le monde le sait", "les études sont unanimes", "tous les autres pays le font"... Autant de mensonges et d'auto-aveuglement.

Plus loin, Guillebaud cite le philosophe américain Michael Walzer :
"Les crimes de la gauche tout au long de ce siècle ont beaucoup à voir avec l'arrogance intellectuelle. Les crimes de la droite, eux, ont une origine plus matérialiste : dans la cupidité individuelle et l'égoïsme collectif." (page 210)

Enfin, dans un excellent dernier chapitre consacré aux médias :
"Le temps des médias est celui de l'immédiateté, du consommable dans l'instant, de l'effusion : il répugne à l'ennuyeux détour de la circonspection, à l'examen pointilleux des possibles. Aux chipotages de l'intelligence, il préfère la simplicité du consensus moyen. La morale du médiatique, comme celle du western, est celle du blanc et du noir. Elle n'admet que l'affrontement hollywoodien d'un bon et d'un méchant. Se trouve ainsi évacué tout ce qui introduirait de la nuance, de la complexité, c'est-à-dire, en dernier ressort, du réel." (page 228)

"L'impérialisme du marché sur l'information n'entraîne pas seulement une rétrogradation de celle-ci au rang de pure marchandise, la victoire sans appel du divertissement sur l'information et du consommateur sur le citoyen. Il aboutit, de façon plus pernicieuse, à une révision du concept même de vérité. Le marché ne retient et ne recycle que les "vérités" vendables. Il ne s'intéresse qu'aux "révélations" pour lesquelles ils subodore l'existence d'un public. Les autres, toutes les autres, sont renvoyées au néant. "Ce qui n'est pas montré sur TF1 n'existe pas", lâcha un jour, avec aplomb et réalisme, Etienne Mougeotte, directeur adjoint de la chaîne. L'affirmation était objectivement comique. Elle est, hélas, à prendre au pied de la lettre. Le marché ivre de lui-même anéantit, au sens propre du terme, toute réalité qu'il n'est pas susceptible de vendre." (pages 238-239)