Citation

"Ce n'est que lorsque l'homme sera parvenu au terme de la connaissance de toutes choses qu'il pourra se connaître lui-même. Car les choses ne sont que les frontières de l'homme." F. Nietzsche

samedi 15 janvier 2011

Rome

"encore près de cinq heures avant la gare de Termini, les églises, le pape et tout le toutim, le Saint-Frusquin romain : bondieuseries et cravates, encensoirs et parapluies, le tout noyé dans les fontaines du Bernin et les automobiles, là où, sur les pavés pourris et le Tibre nauséabond, flottent les Vierges à l'Enfant, les Saints Matthieu, les Piéta, les descentes de croix, les mausolées, les colonnes, les carabiniers, les ministres, les empereurs et le bruit d'une ville ressuscitée mille fois, rongée par la gangrène la beauté et la pluie, qui plus qu'une belle femme évoque un vieil érudit au savoir magnifique qui s'oublie facilement dans son fauteuil, la vie le quitte par tous les moyens, il tremble, tousse, récite les Géorgiques ou une ode d'Horace en se pissant dessus, le centre de Rome se vide de la même façon, plus d'habitants, plus de commerces de bouche, des fringues des fringues et des fringues à en perdre la tête des milliards de chemises des centaines de milliards d'escarpins des millions de cravates d'écharpes assez pour recouvrir Saint-Pierre, pour faire le tour du Colisée, pour tout enfouir sous les nippes à jamais, et laisser chiner les touristes dans cette immense friperie religieuse ou brilleraient les regards avides de découvertes"
Zone, Mathias Enard, chapitre 2, page 23

Zone


8 décembre.


Un homme prend le train à Milan en direction de Rome. Il porte une valise qu'il attache au porte-bagage à l'aide d'une paire de menottes.


On va découvrir, au fil du roman, qu'il s'agit d'un agent secret. Il se donne une identité, Yvan Deroy, qu'il révèle être fausse : c'est le nom d'un dangereux malade mental. Son vrai nom, il faudra attendre plus de 200 pages pour le connaître : Francis Servain Mirkovic. Il est fils d'un oustachi, d'un combattant croate qui a émigré en France. Fasciné par l'idéologie d'extrême droite paramilitaire, il s'engagera dans la guerre civile yougoslave où, la peur au ventre, il tuera du serbe avec, parfois, une rage bestiale.


Etant agent de renseignement, il travaillera dans sa Zone, le pourtour méditerranéen, en commençant par l'Algérie déchirée par la guerre civile. Puis l'Egypte, le Moyen-Orient, etc. Il rencontrera d'anciens nazis réfugiés dans des pays arabes, récoltera des informations sur des criminels de guerre, des massacres, des camps de concentrations, des corps d'opposants politiques torturés et disparus, etc.


C'est comme si la Zone était marquée par la violence. Marquée par la guerre, depuis Troie. Comme si les humains étaient toujours poursuivis par la colère divine. Athéna, Zeus et Poséidon continuent à se déchaîner sur les hommes.


Formidable roman, très bien écrit, sombre, lucide, intelligent et très bien documenté. Il nécessite un petit effort de lecture, mais c'est passionnant.